Père Lachaise : tombeaux remarquables de la 88ème division

mercredi 21 février 2024
par  Philippe Landru

Longée par des milliers de touristes qui entrent par la porte des Rondeaux, la 88ème division n’en est pas moins très peu visitée. De facture récente, loin de l’image romantique du cimetière, elle ne contient ni œuvre d’art d’importance, ni surtout de célébrités de premier ordre qui attireraient le chaland. Comme toutes les autres, elle possède néanmoins des tombeaux dignes d’intérêt.


LES PERSONNALITÉS


- GRASSET Bernard
- HILLAIRET Jacques
- JOUHAUX Léon
- LAURENCIN Marie


... mais aussi


- Charles d’AUVRAY (1878-1960) : chansonnier, auteur-compositeur (on lui doit la chanson Triomphe de l’anarchie) et interprète anarchiste, il fut l’auteur de centaines de textes pour dénoncer l’État, la religion, le militarisme, les prisons, etc. et exalter l’idéal libertaire. Sa tombe était surplombée d’un buste en bronze du sculpteur belge Louis Hista, qui se trouve désormais à la Conservation. Sont inscrits sur sa stèle les derniers vers de son poème Les feuilles :

Puis raide !... Il tombe sur les feuilles
Et les feuilles tombent au vent
Légères et d’or comme avant ;
C’est dans ce suaire mouvant
Que la nature l’encercueille !...
Donc : que tu sois tête à l’évent,
Petit, grand, ignare ou savant !
Autant en emporte le vent :
L’homme tombe comme les feuilles

.

- L’ancien ministre Jean BIONDI .

- Le parfumeur Maurice BLANCHET (1890-1953), qui créa pour la maison de couture Worth plusieurs parfums dans les années 20, dans des flacons réalisés par René Lalique. Sa tombe est ornée d’une descente de croix en bronze non signée.

- La soprano Eugénie BRUNLET (1891-), de l’Opéra comique.

- Le poète et comédien ambulant anarchiste Louis DALGARA (Louis Doutey : 1885- 1978).

- Le marionnettiste Robert DESARTHIS (Robert Thiessard : 1909-1993), qui reprit en 1933 le théâtre de marionnettes du jardin du Luxembourg, à Paris, qu’il agrandit et réaménagea. Il fut aussi l’un des premiers à concevoir des marionnettes pour les vitrines de Noël des grands magasins parisiens dès 1935 et un des premiers à se produire à la télévision dés 1938. Ses descendants sont toujours aux ficelles du Luxembourg. Sa tombe est ornée d’un très beau bas-relief (d’après photo) le représentant avec Guignol.

- L’artiste dramatique Renée DESPREZ (Célina Paganel : 1877-1960) qui connut le succès au tout début du XXe siècle. Elle fut également chanteuse dans des revues et des opérettes, et tourna quelques films dans les années 20.

- L’acteur Albert DINAN (Albert Neuzillet : 1902-1976), à l’abondante filmographie dans des petits rôles de 1931 à 1968. Il repose en bordure de l’allée latérale sous une tombe totalement anonyme.

- Louis-Paul FABRE (1885-1936), qui fut Gouverneur par intérim de la Réunion à trois reprises dans les années 30.

- Lucien FABRE (1889-1952) : à la fois un homme d’affaires cosmopolite - notamment président de Pathé Marconi- , physicien de grand renom -ami et traducteur d’Einstein dont il fut le premier à introduire en France les théories- et un homme de lettres, qui passa de la poésie au théâtre, de l’essai au roman. Ses tentatives en politique furent en revanche infructueuses. Il publia des ouvrages scientifiques sur l’origine de l’homme, et des recueils de poèmes. Son roman Rabevel ou le mal des ardents obtint le Goncourt en 1923. Il obtint aussi le grand Prix d’Histoire de l’Académie française en 1948 pour son ouvrage sur Jeanne d’Arc.

- L’ancien ministre Maurice FOULON

- Le Compagnon de la Libération Georges JOUNEAU

- L’acteur Léon LARIVE (1886-1961), qui joua au théâtre et un très grand nombre de petits rôles au cinéma des années 20 à sa mort. Il repose dans la tombe Ripoche - Roux.

- Armen LUBIN/Chahan CHAHNOUR (Chahnour Kerestedjian : 1903-1974) : écrivain et poète français d’origine arménienne, il fut régent du Collège de ’Pataphysique. Dans la même tombe repose le journaliste et intellectuel arménien Schavarch MISSAKIAN (1884-1957), connu pour avoir fondé et dirigé le journal arménien Haratch à Paris entre 1925 et 1957. Il fut élu en 1919 au Parlement de l’éphémère Première République d’Arménie. Sa fille, la journaliste Arpik MISSAKIAN (1926-2015), qui fut rédactrice en chef de ce même journal de 1957 à 2009 repose aussi dans la sépulture.

- Le chimiste Charles Léopold MAYER (1881-1971) qui choisit de mettre sa fortune au service de travaux à caractère scientifique et humaniste : une fondation porte désormais son nom. Son épitaphe proclame L’Homme ne vaut que par le progrès - La sensation crée la vie.

- Juan NEGRIN LOPEZ (1892-1956) : physiologiste espagnol, il fut Président du gouvernement de la République de 1937 à 1939, puis du gouvernement en exil (1939-1945) après la victoire de Franco. Il fut un des personnages les plus controversés de la guerre civile espagnole : « traître rouge » pour le camp franquiste, une partie du camp républicain lui reprochait la prolongation inutile de la guerre et la subordination aux plans de l’Union soviétique. Il fut réhabilité en 2008. Sa tombe, très discrète au centre de la division, ne se signale, à sa demande, que par les initiales : "J.N.L (sur le côté).

- Jean NOVI (1919-1958), qui fut en 1953 le créateur de Zéro, une revue humoristique française, théoriquement mensuelle mais à périodicité variable, diffusée par colportage et publiée de 1953 à 1958, date à laquelle elle fut rebaptisée Cordées. Cette publication était principalement connue pour avoir compté dans son équipe François Cavanna et le professeur Choron, qui l’ont ensuite quittée pour lancer Hara-Kiri. Elle lança certains dessinateurs promis à un grand avenir, tel Fred. Le titre Zéro a été à nouveau utilisé, de 1986 à 1988, par un magazine d’humour auquel collaboraient Cavanna et Choron.

- Maurice OBRÉJEAN (1924-2017) : Résistant pendant la guerre, il fut déporté à Auschwitz où toute sa famille périt. Après guerre, il devint directeur commercial et parrain de l’élection du Bébé Cadum. Pourquoi cet honneur ? Cadum est une marque de savon française créée en 1907 : le nom latin de l’huile de cade utilisée comme composant, donna son nom à la marque. Sur le modèle de l’économie étatsunienne, la société, basée à Courbevoie, fonda son commerce sur la publicité et la démocratisation des préceptes hygiéniste. Pour intégrer ces préceptes, on eut recours à la figure du petit enfant : le « bébé cadum » était né ! Le bébé à la sortie du bain, assis sur un drap devant la baignoire, avec savon et éponge, devint l’image emblématique de Cadum. Il colonisa les murs de Paris après la Première Guerre mondiale. A partir de 1925, on décida de photographier tous les ans un bébé qui symboliserait la marque : cette même année, ce fut Maurice Obréjan qui fut photographié !

- Mikhaïlo OMELIANOVITCH-PAVLENKO (Михайло Омелянович Павленко : 1878-1952) était le commandant suprême de l’armée galicienne ukrainienne et de l’armée populaire de la République populaire ukrainienne. Plus tard, il fut ministre de la Défense du gouvernement en exil de la République populaire ukrainienne.

-  Frédéric (1879-1963) et Marguerite (1885-1962) OZIL, fondateurs de « l’Ecole universelle » ; organisation privée française dont l’objectif était la dispense d’enseignements et de formation par correspondance. Fondée en 1907, elle répondit au bon moment au besoin d’instruction de toute une catégorie de la population française, qui pour diverses raisons n’avait pas la possibilité de suivre un enseignement classique dans les réseaux de l’éducation nationale. Concurrencé par la suite par d’autres structures (tel le CNED), elle ferma ses portes en 2017.

- Le métropolite POLYCARPE (1875-1953), chef de l’Eglise orthodoxe ukrainienne autocéphale.

- Le philosophe Maurice PRADINES (1874-1958), qui s’inscrivit dans la lignée des philosophes de l’esprit de l’entre-deux-guerres. Il a développé une philosophie de la connaissance à la lumière d’une problématique de la sensation. Il était membre de l’Académie des sciences morales et politiques.

- L’actrice Denise PROVENCE (Denise Levy : 1921-2011), dont la carrière débuta au cinéma en 1945. Rapidement, elle se dirigea vers la comédie. Elle tourna souvent avec Louis de Funès et son rôle le plus marquant demeure celui de Esther Schmoll épouse de Popeck dans Les aventures de Rabbi Jacob.

- La danseuse Harriet TOBY

- Roger VERLOMME (1890-1950) : directeur de cabinet de Roger Salengro, alors ministre de l’intérieur sous le Front populaire, puis de Marx Dormoy ; il fut de 1938 à 1940 préfet de la Seine-Inférieure. Résistant à partir de 1940, il fut nommé à la Libération commissaire de la République pour les départements du Nord et du Pas-de-Calais. Il fut préfet de la Seine de 1946 à sa mort.

- Le peintre et graveur estonien Eduard WIIRALT (1898-1954), auteur de scènes fantastiques représentant d’une façon grotesque les faiblesses et les vices humains.

- L’abbé Paul ZURFLUH (1910-1990), fondateur de la Manécanterie des Petits Chanteurs de Saint-Laurent.


Anecdotes et curiosités


- Il existe, dans la 88ème division du Père Lachaise, un tombeau collectif destiné aux Compagnons de la Libération. Pendant longtemps, aucun Compagnon ne s’y fit inhumer. Entre 2017 et 2018, quatre Compagnons parmi les derniers survivants y trouvèrent sépulture :
- Louis CORTOT
- Constant ENGELS
- Fred MOORE
- Claude RAOUL-DUVAL

- La 88ème division est l’une des plus riches en monuments commémoratifs :

  • Le long de l’Avenue des combattants étrangers morts pour la France (anciennement appelée « avenue de la Nouvelle-Entrée ») figurent, de part et d’autre, des monuments assez imposants. On trouve dans cette division ceux dédiés aux Grecs, aux Polonais et aux Arméniens (les monuments de l’autre côté de l’avenue sont à retrouver dans la 84ème division).
    JPEG - 33.8 ko
    Monument aux Hellènes morts pour la France
    Le monument fut érigé en 1953 au cimetière du Père-Lachaise par l’association des anciens combattants engagés volontaires Hellènes dans l’armée française. Avec, selon la plaque apposée près du monument, les dons « de la colonie hellénique », des Philhellènes de France et de l’Union française. On peut lire sur la plaque une citation attribuée à Périclès par Thucydide dans son Histoire de la guerre du Péloponnèse, « ΑΝΔΡΩΝ ΕΠΙΦΑΝΩΝ ΠΑΣΑ ΓΗ ΤΑΦΟΣ » (les hommes éminents ont la terre entière pour tombeau)
    JPEG - 23.7 ko
    Une reproduction de la victoire de Samothrace surplombe une colonne ionique.
    JPEG - 41.4 ko
    Monument aux Polonais morts pour la France
    Ce monument fut inauguré en 2006 par Hamlaoui Mekachera, ministre délégué aux Anciens Combattants.
    JPEG - 30.6 ko
    La statue, en bronze est l’œuvre du polonais Marek Moderau, sur un monument de l’architecte Jan Beyga.
    JPEG - 33.4 ko
    Monument à la mémoire des Arméniens de l’armée française morts pour la France, 1914-1918 et 1939-1945.
    Ce monument représente un clocher octogonal dans le plus pur style arménien. Il célèbre les Arméniens morts pour la France pendant les conflits de 1914-1918 et 1939-1945. Réalisé par les architectes Edouard Utudjian, H. Koutan, Jean-François Djermagian et Bernard André, il fut inauguré en 1978 par Alain Poher, alors président du Sénat, et béni par Mgr Sérovpé Manoukian, prélat des Arméniens de Paris.
  • Une stèle à la mémoire des victimes du génocide des Tutsi au Rwanda se trouve dans cette division depuis 2014.
  • Monument à la mémoire des disparus des Abdellys, 20 jeunes soldats français enlevés dans la nuit du 31 octobre au 1er novembre 1956 dans leur poste des Abdellys, près de Tlemcen, exécutés et dont les corps n’ont jamais été retrouvés. Au delà, le monument honore tous les disparus de cette guerre. La stèle fut inaugurée en 2015.
  • Monument érigé par la Ville de Paris à ses militaires morts et disparus pendant la guerre d’Algérie et les combats de Tunisie et du Maroc. 1952-1962. Lors des cérémonies du 19 mars 2002, pour le quarantième anniversaire du cessez-le-feu en Algérie, Bertrand Delanoë, maire de Paris, posa la première pierre du mémorial qui fut inauguré en 2003.
  • Monument aux victimes de l’OAS (1961-1962). Premier monument en France rendant hommage aux victimes de l’OAS, l’inscription proclame : En hommage à toutes les victimes de l’OAS en Algérie et en France. Civils, militaires, élus, magistrats, fonctionnaires, défenseurs des institutions et des valeurs de la République. Il fut inauguré en 2011.

- Dans cette division se trouve l’une des plus imposantes chapelles du cimetière : c’est celle des López-Perez. Y reposent le Chilien Arturo López Willshaw (1900-1962), riche héritier d’une famille ayant fait fortune dans le guano, et son compagnon Alexis von Rosenberg, 3e baron de Redé (1922-2004). Ils furent des figures de la Jet set d’après guerre, organisant de grands bals qui attiraient le tout-Paris.

- Le long de l’Avenue transversale 3 sont aménagés les caveaux provisoires, où l’on place les défunts quand leur tombes ne sont pas prêtes. Les taphophiles les plus curieux aiment y fureter pour y découvrir, parfois, la sépulture provisoire de la dernière personnalité arrivée.


Réalisations artistiques


- Aucune petite chapelle, donc aucun vitrail.

JPEG - 31.1 ko
Tombeau Jacquignon
Il est l’un des tombeaux les plus imposants de la division. Cette famille d’entrepreneur de constructions installée à Izmir (Turquie) est une lointaine parente d’Edouard Balladur. L’immense Christ fut réalisé par André Torcheux.
JPEG - 29 ko
Tombe Léger - Bouquet
Non signé
JPEG - 20.9 ko
Tombe Veder
JPEG - 27.6 ko
Médaillon de Petro Plewako (+1986)
Signé Edward Minazzoli.

Commentaires

Brèves

Mise à jour et conseils aux contributeurs

samedi 29 octobre 2022

Je suis en train de remettre à jour toutes les rubriques qui listent le plus exhaustivement possible le patrimoine funéraire de tous les départements. Tous les cimetières visités par moi (ou par mes contributeurs) y sont portés, mise-à-jour des couleurs qui n’étaient pas très claires dans les versions précédentes (le noir apparaissait vert), rajout de tombes depuis les visites, photos de tombes manquantes... N’hésitez pas à les consulter pour y trouver la version la plus globale du patrimoine. Ces rubriques représentent les listes les plus complètes que l’on puisse trouver sur le net du patrimoine funéraire français.

Contrairement aux articles, vous ne pouvez pas interagir sur les rubriques : aussi, si vous avez une information nouvelle à apporter sur un département, merci de laisser votre message en indiquant clairement le département et la commune concernée sur un article dédié uniquement à cela : Le patrimoine funéraire en France : classement par départements

Merci et bonne lecture.

Qui est derrière ce site ?

vendredi 14 février 2014

Pour en savoir un peu plus sur ce site et son auteur :

- Pourquoi s’intéresser aux cimetières ?
- Pourquoi un site sur les cimetières ?
- Qui est derrière ce site ?