L’Affaire Dominici
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Dans la nuit du 4 au 5 août 1952, six coups de feu sont tirés et quelques heures plus tard, les corps de trois Anglais, Sir Jack Drummond, un scientifique renommé, sa femme Ann et leur fille Elizabeth âgée de 10 ans, sont trouvés par Gustave Dominici près de leur voiture, à quelques mètres de la ferme familiale (la Grand’Terre) et à quelques kilomètres du village de Lurs dans les Basses-Alpes (aujourd’hui Alpes-de-Haute-Provence). C’est le début de l’affaire Dominici, suivie par de très nombreux journalistes. L’affaire déchaîna les passions au début des années cinquante, partageant la France entre les partisans de la culpabilité de Gaston Dominici et les partisans de son innocence. Ce sera le procès de la France rurale contre les Parisiens, de ceux qui manient la langue contre ceux qui se taisent.
A 5 heures du matin, Mr Ollivier revient de sa nuit de travail à l’usine de Saint Auban en moto. Il est arrêté sur la RN 96 par Gustave Dominici qui lui fait cette déclaration : « il y a un cadavre là bas ». Le motocycliste prend la direction de la Gendarmerie d’Oraison à quelques kilomètres de là. Les gendarmes arrivent, font les premières constatations puis la police est prévenue. Le commissaire Sébeille arrive de Marseille à 14h. L’enquête va commencer.
Sir Jack Drummond et sa femme Lady Ann ont été tués par balle, à côté de leur voiture. Le corps de leur fille, Elisabeth, est retrouvé plus loin, en direction de la Durance. Elle a été tuée à coup de crosse de fusil sur le crâne. La vision de cette petite fille en pyjama sur un talus au bord de la Durance a marqué le commissaire. Puis, dans l’après-midi, les policiers trouvent l’arme du crime dans un trou d’eau : un fusil à répétition de marque « Rock Ola », fabriqué en Amérique à plusieurs millions d’exemplaires pendant la seconde guerre mondiale.
La famille Drummond fut inhumée à quelques kilomètres du drame, dans le cimetière de Forcalquier.
- Sépultures des Drummond
- Elle se trouve au cimetière classé de Forcalquier, à quelques kilomètres du drame.
- Dalle de la famille Drummond
- Sur la dalle, il est écrit : « Jack Drummond, Anne his wife and Elizabeth their daughter. 5th August 1952. They were lovely and pleasant in their lives and in their death they were not divided ».
L’omerta familiale
L’enquête avance lentement. Les premiers interrogés sont les membres de la famille Dominici. Gaston Dominici, 74 ans vit là avec sa femme, « la sardine », et un de leurs fils Gustave, sa femme Yvette et leur fils de 10 mois, Alain. Leur ferme est la plus proche du campement, ils ont certainement entendu quelque chose. Mais la famille se tait. Gaston Dominici a l’air d’un patriarche autoritaire et taiseux.
A la fin de la journée du 5 août, le commissaire Sébeille revient à la ferme des Dominici, la Grand’terre. Il y rencontre Gaston Dominici qui, après avoir répété qu’il n’avait rien vu, et rien entendu, lui donne une version du crime qui laisse Sébeille interloqué.
Arrivé à hauteur du campement des Drummond, Gaston Dominici montre avec sa canne, l’emplacement du corps de lady Ann, et dit a Sébeille « l’Anglaise est tombée là, elle n’a pas souffert ». Surpris, Sébeille montre sa stupéfaction à Gaston, qui poursuit par un vague « enfin je suppose… ».
Les jours suivants, le commissaire va interroger Gustave Dominici, dont les déclarations sont contradictoires, puis un ami de celui-ci puis un autre fils Dominici, Clovis, habitant non loin de là… Les soupçons se concentrent sur les habitants de la Grand’terre, mais personne ne parle, les déclarations sont floues et contradictoires.
Pendant un an, le commissaire Sébeille va étudier les déclarations et trouver de nouveaux témoins dont les révélations vont permettre d’étayer la thèse que les coupables viennent de la ferme des Dominici.
Le jeudi 12 Novembre 1953, après une reconstitution et la confrontation de plusieurs témoins, Gustave Dominici est longuement interrogé par la police. Le lendemain, vendredi 13 novembre, l’interrogatoire se poursuit. Gustave est questionné toute la matinée, mais ce n’est que dans l’après midi qu’il craquera : « C’est mon père qui a fait le coup… ». Il explique que son frère Clovis est également au courant.
Amené au tribunal de Digne, Clovis Dominici est confronté aux aveux de son frère, mais il croit que Sébeille bluffe. Toutefois quand Clovis se retrouve devant Gustave, il tombe dans ses bras et avoue à son tour. « Si Gustave a parlé, il n’y a pas de raison que je vous le cache plus longtemps, c’est notre père qui a fait le coup. » Le Commissaire Sébeille a donc en poche les aveux des deux fils. Il envoie chercher Gaston. Son interrogatoire commence.
Une affaire de famille
Apprenant que ses fils l’ont accusé des meurtres des Drummond, Gaston Dominici se met à hurler que les assassins sont ses fils, qu’ils veulent récupérer l’héritage. Plus tard, Gaston dit qu’il ne comprend pas pourquoi ses fils l’accusent.
Gaston reste ensuite seul avec un agent de police Guérino. L’agent Guérino parle le patois, une conversation s’engage entre lui et Gaston Dominici. Dominici parle de sa vigne, de sa terre… de ses problèmes avec sa femme. L’agent Guérino est étonné de recevoir des confidences qu’il n’a pas sollicitées. Puis Dominici se met a pleurer. Guérino, attendri, lui aurait dit : « Si vous avez quelque chose à dire, il vaut mieux le dire tout de suite, à votre age, on en tiendra compte »
Dominici : « Eh bé ouais, c’est un accident, ils m’ont pris pour un maraudeur … C’est moi qui ai tué les Anglais. Tout ça c’est à cause de cette saloperie d’éboulement. C’est pas trois morts qu’il y aurait eu si la micheline était arrivée. J’y ai été voir. J’ai pris mon fusil. Pourquoi je l’ai pris. Je suis allé au campement. L’Anglais ma sauté dessus. J’ai tiré... »
Ces aveux sont faits 9 fois, mais rétractés 5 fois.
Parallèlement, les frères Dominici montrent aux enquêteurs où était cachée l’arme du crime. Gaston Dominici est arrêté. Par la suite, Gaston, Gustave et sa femme Yvette Dominici se sont rétractés, le premier ne cessant toutefois jamais de faire peser des soupçons sur le second, par des allusions souvent imprécises. Seul, Clovis Dominici restait sur sa position, ce qui le faisait mettre au ban de la famille.
Le procès de Gaston Dominici débute le 17 novembre 1954 à Digne (Basses Alpes aujourd’hui Alpes de Haute Provence). Déplaçant les foules, il a une ampleur internationale et mobilise plusieurs écrivains français. L’action de la justice dans le cadre de cette affaire est fortement critiquée par les commentateurs.
Jean Giono étudia en particulier les différences entre le langage de l’accusé (30 à 35 mots selon lui) et celui des accusateurs (plusieurs milliers de mots). Il écrivit Notes sur l’affaire Dominici.
Gaston Dominici, fruste et peu loquace, présente une défense malhabile. Au bout de 12 jours d’audience, et malgré l’absence de preuves, Gaston Dominici, 77 ans, est déclaré coupable sans circonstance atténuante, ce qui le condamne à mort. Devant les invraisemblances relevées durant le procès, une nouvelle enquête est ordonnée 15 jours après le verdict, à la demande de la défense. Elle n’infirmera pas le verdict.
Une libération anticipée
Le 28 novembre 1954, Gaston Dominici devient le plus vieux condamné à mort de France. Une grande partie de l’opinion publique a le sentiment que justice n’a pas été rendue, puisque la preuve de sa culpabilité n’a pas été établie.En 1957, le président Coty commua la peine en peine de prison à perpétuité et, en 1960, le général de Gaulle libéra Gaston Dominici. Celui-ci, sur la fin de sa vie, devint l’ami d’un moine bénédictin du monastère de Ganagobie lequel reçut sa confession qu’il ne trahit jamais. Depuis sa libération jusqu’à sa mort, Gaston Dominici demanda sa réhabilitation et la révision de son procès. Gaston Dominici décéda en 1965, sans qu’on sache jamais son degré d’implication dans le triple meurtre de la famille Drummond.
Les Dominici impliqués dans l’affaire reposent tous dans le nouveau cimetière de Peyruis :
Gaston (1877-1965), qui n’est pas cité nommément, repose avec son épouse Marie, dite la Sardine (1879-1974) dans un premier tombeau. Gustave (1919-1996), qui le premier avait dénoncé son père mais s’était ensuite dédit, repose dans ce même caveau. Son épouse est toujours vivante.
- Unique témoignage sur la tombe de la présence de Gaston Dominici et de son épouse : leur identité n’est inscrite nulle part.
Dans un autre caveau, dans une autre partie du cimetière, repose le second fils-accusateur, Clovis (1905-1959) qui lui ne revint jamais sur son témoignage, et qui mourut sans aucune réconciliation avec le reste de la famille. Il semblerait qu’en un premier temps, il ait été inhumé dans l’ancien cimetière de Peyruis. Ses descendants l’ont transféré dans le nouveau cimetière : signe d’un apaisement des tensions, tant d’années après !...
Bien qu’il ait été un personnage très secondaire de l’affaire, j’ai également retrouvé au cimetière de Lurs la tombe d’un troisième frère, celle de Marcel (1913-1999).
On ne saurait clore cet article sans citer le commissaire Edmond SÉBEILLE (1908-1988), qui fut chargé de l’affaire, et qui repose au cimetière Saint-Julien de Marseille (et pas à Saint-Pierre comme on le lit trop souvent).
ou encore l’avocat des Dominici, Emile POLLAK (1914-1978), qui repose lui au cimetière Saint-Pierre de Marseille (13).
L’affaire Dominici restera une affaire mystérieuse. Certains continueront de soutenir l’innocence du père Dominici derrière son petit fils Alain qui demande la révision du procès. Des thèses mettant en scène des agents secrets ont aussi été échafaudées. Plusieurs films et téléfilms ont été réalisés sur l’affaire, dont celui avec Jean Gabin et le téléfilm, plus récent, dans lequel Michel Serrault joue le rôle du patriarche.
Source principal du texte : http://www.13emerueuniversal.fr/content/gaston-dominici
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