NOVA GORICA (Slovénie) : crypte des Bourbons du couvent franciscain de Kostanjevica
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C’est un lieu qui fait fantasmer la petite communauté des monarchistes -légtimistes- français, pour laquelle elle est à la fois un lieu de recueillement dans le « petit Saint-Denis slovène » et de frustration pour ce qu’elle considère être un lieu d’exil. Pour la petite ville slovène, elle est un lieu modeste de fixation touristique. Visite de ce lieu assez improbable où repose le dernier roi de France, le seul -depuis Hugues Capet- à ne pas être inhumé sur le sol français.
Nova Gorica constitue la partie slovène de Gorizia, ville située entre l’Italie et la Slovénie. Elle a été créée en 1947 pour redonner un centre administratif à la zone environnante, puisque désormais la ville de Gorizia restée en territoire italien ne pouvait plus jouer ce rôle qu’elle avait eu historiquement. Les deux villes forment pratiquement un tout depuis 2007, où la Slovénie est entrée dans l’espace de Schengen ce qui a entraîné la disparition définitive de la frontière. Elles sont tout de même très différentes, la slovène étant la plus récente, ce qui justifie son appellation de « nouvelle ».
Elle est avant tout une ville de casinos pour les touristes italiens en goguette !
Sur une colline qui domine la ville se trouve le couvent franciscain de Kostanjevica (Castagnevizza en italien). Lieu de pèlerinage ancien, il fut édifié au XVIIe siècle, et on y transporta un tableau de la Vierge, objet de la vénération des fidèles qui s’y rassemblaient pour la liturgie. Détruit en partie durant la Première Guerre mondiale, le couvent est une reconstruction de l’entre-deux guerres assez quelconque.
C’est parti pour une petite visite iconoclaste, comme si vous y étiez...
Du haut de la colline, la vue porte sur les environs : des densités périurbaines et au loin la mer. On est loin du cliché de la colline au milieu d’une nature sauvage !
En premier lieu, on sonne à l’interphone de la crypte.
Si le lieu est touristique, ça ne se bouscule néanmoins pas au portillon : on vous donne la clé et on vous indique l’entrée de la crypte.
L’arrivée à la crypte est précédée de plusieurs salles : l’une d’elle possède des documents, des arbres généalogiques et des photos concernant les dépouilles, en particulier de la restitution de 1932.
Effectivement, lors de la Première Guerre mondiale, alors que l’Italie et l’Empire austro-hongrois étaient en guerre, le couvent fut bombardé. L’impératrice d’Autriche-Hongrie, Zita de Bourbon-Parme, fit alors évacuer corps des Bourbons du couvent vers la Kapuzinergruft de Vienne tandis que les lourds sarcophages étaient placés dans une dépendance du château de Schönbrunn. Ils revinrent à Gorizia en 1932, alors que la ville était devenue italienne.
Une photo en particulier indique le columbarium dans lequel furent déposés les Bourbons durant ce laps de temps.
- Crypte de Vienne où les dépouilles furent remisées de 1917 à 1932
Dans la salle qui précède la crypte, un portrait de Charles X veille sur un baby-foot : les moines sont joueurs !
On pénètre ensuite dans la crypte proprement dite par une entrée surmontée d’une plaque indiquant « À notre auguste et vénéré Roi, au meilleur des pères, les Royalistes de Bédarieux » (Hérault)
Un couloir étroit précède la crypte, sur lequel diverses plaques sont accrochées. Dans une niche du couloir se trouve le tombeau du Pair de France Pierre Louis Jean Casimir de BLACAS D’AULPS (1771-1839). Il émigra en 1790, s’attacha dans l’exil à la représentation du comte de Provence (futur Louis XVIII), qui le chargea de diverses missions. Devenu roi, ce dernier le nomma ministre de la Maison du Roi et intendant général des Bâtiments de la Couronne. Pendant son administration, il apporta son aide à l’orientaliste Champollion et créa le « Musée égyptien » au Louvre. Il l’accompagna à Gand, fut nommé ambassadeur à Naples où il négocia le mariage du duc de Berry avec Marie-Caroline de Bourbon-Siciles, fille du Roi des Deux-Siciles, puis à Rome, où il fit signer le concordat du 11 juin 1817. En 1830, il suivit les Bourbon dans l’exil. Il était membre de l’Académie des inscriptions et belles-lettres.
La pièce dans laquelle se trouvent les tombeaux n’est pas bien grande, et est occupée pour l’essentiel par six tombeaux monumentaux très à l’étroit.
Y reposent respectivement :
- sur la gauche
Marie-Thérèse de Modène (1817-1886), princesse royale de Hongrie et de
Bohême, archiduchesse d’Autriche-Este, qui fut l’épouse du comte de Chambord. Elle fut donc considérée comme reine de France de jure par les partisans de son mari. Elle fut la dernière à intégrer la crypte.
son époux Henri d’Artois (1820-1883), portant comme titre de courtoisie celui
de comte de Chambord (Henri V de France et de Navarre pour ses partisans). Petit-fils du roi Charles X, l’« enfant du miracle » était le fils posthume de Charles-Ferdinand d’Artois, duc de Berry, assassiné par le bonapartiste Louis-Pierre Louvel qui voulait « détruire la souche » des Bourbons. Chef et dernier représentant de la branche aînée et française de la maison de Bourbon, il fut prétendant à la Couronne de France de 1844 à sa mort. Désigné comme roi en 1830 dans l’acte d’abdication de son grand-père, Charles X, et de renonciation de son oncle, le dauphin (futur prétendant « Louis XIX »), il n’exerça pas cette fonction du fait de la montée du duc d’Orléans sur le trône. Il s’exila alors avec toute sa famille en Angleterre. Revenu en France après la chute du Second Empire en 1870, il rallia à lui la majorité royaliste de la nouvelle assemblée nationale, se réconcilia avec la branche d’Orléans (qui se posa néanmoins en héritière de la branche aînée des Bourbons), et assista à l’échec d’un projet de restauration, à la suite du refus de la majorité des députés d’accepter le drapeau blanc, et de son propre refus d’adoption du drapeau tricolore.
- Couronnes rapportés par les légitimistes lors des obsèques d’Henri d’Artois (1883)
Sa mort sans enfant en 1883 marqua l’extinction de la branche Artois de la maison capétienne de Bourbon et le début d’une querelle (toujours d’actualité) entre les maisons de Bourbon d’Espagne et d’Orléans pour savoir laquelle a le plus de légitimité à la Couronne de France. Ses obsèques furent l’occasion du rassemblement de ses partisans français. Peu de temps après sa mort, la crypte fut profondément modifiée – selon les souhaits qu’il avait d’organiser sous le maître-autel de l’église une crypte capable d’accueillir six sarcophages. Ces derniers, soutenus par des soubassements, furent réalisés à Goritz dans du marbre blanc d’Aurisina (à l’exception du sarcophage de Louise-Marie, en métal, provenant de Venise).
- Louise d’Artois (1819-1864), sœur du précédent, qui fut mariée à son cousin le
futur duc Charles III de Parme. À l’époque, les duchés de Parme et de Plaisance ayant été remis en viager à la veuve de Napoléon Ier, l’impératrice Marie-Louise, par le congrès de Vienne, le père de Charles régnait sur le minuscule duché de Lucques. Marie-Louise d’Autriche décédant deux ans plus tard, les Bourbon-Parme retrouvèrent leurs duchés patrimoniaux, mais le beau-père de Louise, le duc Charles II de Parme, dut bientôt abdiquer face à la pression populaire. Le mari de Louise accéda donc au trône en 1849, mais fut assassiné cinq ans plus tard. Louise devint régente pour son fils Robert Ier de Parme, mais fut chassée en 1859 par les armées du roi Victor-Emmanuel II de Sardaigne. Après un référendum, les duchés de Parme et de Plaisance sont rattachés au nouveau royaume d’Italie. Elle fut la grand-mère de Zita, la dernière impératrice d’Autriche (celle qui fit déplacer les tombeaux en 1917).
- sur la droite
Marie-Thérèse de France « Madame Royale », puis duchesse d’Angoulème (1778-1851), premier enfant de
Louis XVI et Marie-Antoinette. Après une enfance passée à la Cour, elle fut la seule de la famille royale à survivre à la Révolution française. Condamnée par les insurgés puis réduite à l’exil, Marie-Thérèse Charlotte, devenue Dauphine de France en 1824, et qui aurait pu devenir reine de France lors des journées de 1830, resta attachée à la monarchie jusqu’à la fin de sa vie. Elle épousa son cousin-germain, Louis d’Angoulême. C’est en exil sous le titre de courtoisie de « comtesse de Marnes » qu’elle décéda.
Le roi de France Charles X (1757-1836), qui fut le dernier roi de France (puisque
son successeur Louis-Philippe Ier fut, lui, « roi des Français »), et le seul souverain français à reposer hors de France. Très attaché aux conceptions et aux valeurs de l’Ancien Régime, chef de file des ultraroyalistes sous le règne de Louis XVIII, il tenta d’incarner la continuité de l’État et de la monarchie après la période révolutionnaire, sans pour autant céder à la réaction. À son avènement, sa priorité fut de conserver la Charte octroyée par son frère dix ans plus tôt. Très pieux et attaché aux concepts sociaux du christianisme, il tenta de se passer de l’accord parlementaire en le neutralisant par ordonnances : cette politique provoqua les premières émeutes des Trois Glorieuses. Son règne fut marqué par la loi d’indemnisation des émigrés, et par les expéditions françaises en Grèce (1827) et en Algérie (1830). Renouant avec la tradition du sacre en 1825, il fut renversé en 1830 par une nouvelle révolution parisienne. Outre son corps, une urne se trouvant dans le tombeau contient le cœur du roi (voir plus loin).
Louis de France (1775-1844), duc d’Angoulême (Louis XIX de France et de
Navarre pour ses partisans), fils du précédent, qui émigra en 1789 avec son père, et rejoignit l’armée de Condé en 1792 financée pour grande part par le gouvernement britannique. En 1823, il conduisit la victorieuse expédition d’Espagne, qui gagna la bataille du fort du Trocadéro, s’empara de Cadix et restaura, en monarque absolu, Ferdinand VII d’Espagne. Lors des événements de la révolution de Juillet (1830), peu après l’abdication de son père, il renonça lui-même à ses droits en faveur de son neveu Henri d’Artois. Il s’exila ensuite avec le titre de courtoisie de comte de Marnes. À la mort de son père jusqu’à son propre décès, il devient l’aîné des Capétiens et le chef de la maison de Bourbon. Il épousa sa cousine germaine Marie-Thérèse de France.
En 2013 fut créée l’association « Pour le retour à Saint-Denis de Charles X et des derniers des Bourbons ». Si une partie des descendants du roi soutient ce projet, Louis de Bourbon s’y oppose, estimant que le comte de Chambord avait déjà réglé la question en souhaitant se faire enterrer dans le même édifice que son grand-père, et que les moines franciscains s’occupaient des sépultures depuis plus d’un siècle et demi avec dévouement. Un autre projet existe, qui consisterait à laisser le corps de Charles X en Slovénie, mais à rapporté à Saint-Denis son cœur dans le dernier tombeau qui demeure vide dans la partie centrale de la crypte.
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