VEYRIER (Suisse) : cimetière israélite
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Le cimetière israélite de Veyrier fut créé en 1920, et est situé pour sa majeure partie sur la commune française d’Étrembières, en Haute-Savoie, dont il dépend juridiquement. Il tire en réalité faussement son nom de la commune de Veyrier, dans le Canton de Genève, en Suisse, qui est à proximité et sur laquelle se trouve l’entrée principale de ce cimetière, ainsi que l’oratoire funéraire.
Une histoire étonnante...
- L’entrée du cimetière, passage de la frontière
La Communauté israélite de Genève, propriétaire depuis 1788 du Cimetière juif de Carouge situé sur la commune du même nom, dans le Canton de Genève, se vit dans l’obligation à partir de 1916 de rechercher de nouveaux terrains, car son cimetière arrivait à saturation. Étant dans l’impossibilité d’agrandir celui de Carouge (la loi cantonale de 1876 interdisant toute nouvelle création de cimetières confessionnels, ou extension de ceux déjà existants), une solution alternative s’offrit en France voisine dont les lois permettaient la création de cimetières dits « particuliers » (privés).
C’est le 16 juillet 1920 qu’une convention, signée entre les représentants de la Communauté israélite de Genève et les autorités de la ville d’Etrembières, donna naissance à ce cimetière. Quatre parcelles le composent (trois côté français, destinées aux sépultures ; et une côté suisse, destinée aux aménagements de l’entrée principale). Ce ne fut toutefois que le 8 octobre 1920 que les douanes suisses donnèrent leur feu vert pour que l’entrée principale du cimetière s’effectue par le territoire helvétique afin d’en faciliter l’accès depuis Genève. Le mur d’enceinte, qui longe une partie de la frontière, puis rentre ensuite en territoire suisse, devait disposer d’une ouverture de 2 mètres de large, là où la frontière le coupe, afin de permettre le libre passage des douaniers.
- L’oratoire
C’est en 1930 que la Communauté israélite de Genève fit l’acquisition, sur territoire suisse, d’une nouvelle parcelle sur laquelle on projeta de construire un édifice destiné à abriter un oratoire et des salles funéraires. C’est l’architecte genevois Julien Flegenheimer, à qui l’on doit la nouvelle Gare Cornavin et le Palais des Nations à Genève, qui fut mandaté pour cette construction. Les travaux durèrent un peu plus d’un an et l’inauguration a lieu le 6 septembre 1931. L’oratoire est un ouvrage aux lignes épurées, sans fantaisie inutile, dans le style traditionnel de l’architecture moderne de l’auteur. Seuls quelques éléments en saillie, comme la corniche et la frise crénelée, viennent rompre les volumes symétriques de l’ensemble. Le corps central de l’édifice abrite une vaste salle de prières qui est dotée de trois grandes portes en chêne, et un parvis qui est soutenu par deux colonnes dont les chapiteaux sont décorés de feuilles d’acanthe. Deux ailes annexes flanquent aussi de part et d’autre le corps central. Elles abritent les salles funéraires, un appartement pour le gardien, et la chaufferie qui est en sous-sol. On y trouve également un local pour stocker les livres saints usagés que l’on ne détruit jamais. En 1980, l’Oratoire israélite a fait l’objet d’une première grande restauration, avec la pose d’un immense vitrail sur la partie arrière de l’édifice. Conçu par l’artiste suisse Régine Heim, ce vitrail d’environ 10 m x 5 m, est une représentation — dans un style contemporain — de la Genèse. Monté sur une structure métallique quadrillée, le vitrail est composé de roches de verre et autres cristaux — tous saillants — insérés dans des dalles en mortier. L’ensemble forme ainsi une formidable mosaïque aux reliefs prononcés où la lumière s’exprime à travers la variation des couleurs obtenues : en allant des plus vives aux plus nuancées. En 1999, l’Oratoire vit ses façades recouvertes de pierre de Jérusalem, ce qui adoucit ses lignes symétriques, sans pour autant modifier substantiellement le style assez épuré imprégné à l’origine par l’architecte Julien Flegenheimer. L’aile droite de l’édifice, qui abrite le centre funéraire, fut également agrandie à cette occasion.
Situé en Zone libre française au début du conflit, le cimetière ne fit curieusement l’objet d’aucune surveillance particulière malgré la présence d’une frontière à l’intérieur de son périmètre. Les enterrements pouvaient s’y poursuivre et l’on note même déjà quelques passages clandestins. La situation ne changea guère en novembre 1942 lorsque la région fut envahie et occupée par les troupes italiennes. Ces dernières se montrèrent en effet plutôt bienveillantes à l’égard des lieux au point que comme le notent les policiers français, "elles favorisaient le passage [des clandestins], y participant eux-mêmes assez souvent ». Au cours de cette période, plusieurs Juifs fuyant la persécution nazie passèrent la frontière à travers le cimetière. Accueillis et cachés dans un premier temps dans l’oratoire funéraire, ils étaient ensuite conduits en toute discrétion vers Genève.
En septembre 1943 les troupes allemandes remplacèrent celles italiennes. Le cimetière fut alors rigoureusement fermé et des barbelés furent même placés à l’intérieur de
- Le cimetière vue de Suisse
son périmètre, le long de la frontière. Il est cependant à noter que malgré la présence régulière de soldats de la Wehrmacht, quelques personnes réussirent malgré tout à passer la frontière de nuit. Les enterrements étant quant à eux devenus impossibles, la Communauté israélite réutilisa alors son vieux cimetière situé sur la commune de Carouge. Après la libération de la Haute-Savoie, en août 1944, nombreux furent les Juifs réfugiés à Genève qui voulurent rejoindre la France. Mais cette dernière, désorganisée, freina le retour immédiat des réfugiés. Les autorités suisses, guère complaisantes également, refusèrent aussi de libérer ces mêmes réfugiés tant qu’ils n’avaient pas rempli certaines formalités. Certains tentèrent alors de passer la frontière clandestinement, et le cimetière se trouva à nouveau en situation idéale pour cela. Le nombre de passages illégaux devint tel que le cimetière fut bientôt placé en zone militaire par les autorités genevoises. Quelques personnes, comme le gardien du cimetière, furent du reste condamnées par la justice genevoise pour avoir facilité ces passages. Elles ne furent réhabilitées par le parlement fédéral qu’à partir de l’année 2004, au même titre qu’environ 130 autres personnes qui avaient aussi été condamnées en Suisse durant la Seconde Guerre mondiale pour des motifs similaires.
- A l’entrée du cimetière, un monument commémore les morts de la Shoah
Après la Seconde Guerre mondiale, les conséquences de la Shoah provoquèrent la sympathie du monde entier pour la cause des Juifs européens. L’idée de faire renaître l’État d’Israël fit son chemin, aussi des dizaines de milliers de Juifs, rescapés des camps de concentration, souhaitèrent se rendre en Palestine. La Grande-Bretagne, qui administrait encore par mandat cette région, se refusa cependant à accepter un flux migratoire important. Elle limita donc sérieusement la délivrance de visas. Pour les Juifs réfugiés en Suisse durant le conflit, la situation était même un peu plus compliquée,
- Du cimetière, vue sur le téléphique de Salève (France). C’est ici que furent dispersées les cendres de Robert Musil.
car rares étaient les candidats qui possédaient tous les papiers nécessaires pour pouvoir transiter par la France. Nombreux furent alors ceux qui tentent de se rendre clandestinement en Palestine.
Comme par le passé, le cimetière israélite de Veyrier se retrouva encore une fois dans une situation géographique de choix qui favorisa la fuite des réfugiés. Cette fois-ci, ce fut grâce à la complicité des cheminots français que les passages purent opérer. Après avoir franchi le mur d’enceinte (en règle générale de nuit), les candidats étaient récupérés par les cheminots et conduits au château de Bois-Salève, qui appartenaient à la SNCF, et qui se trouvait à proximité. Après une courte nuit de sommeil, ils étaient embarqués dans un wagon non inscrit sur les registres officiels de la S.N.C.F., mais qui était cependant accroché à un train régulier. Grâce à toute une chaîne de complicités, environ 300 à 400 réfugiés juifs purent bénéficier de ce dispositif pour rejoindre clandestinement les ports du sud de la France, et ensuite la Palestine.
- Une borne permet de localiser avec précision l’ensemble des défunts du cimetière
Le cimetière, qui accueillait déjà près de 2 500 sépultures à la fin dès années 1980, fit l’objet d’un agrandissement au cours de cette période. Une nouvelle parcelle, toujours côté français, et située dans le prolongement du cimetière existant, permit au cimetière d’augmenter sa capacité d’environ 1 500 tombes. Cet agrandissement permet ainsi au cimetière d’assurer des enterrements au moins jusqu’aux années 2050. Dans le futur, les extensions se feront sans aucun doute côté genevois, sur les parties restées vierges du cimetière. La loi cantonale de 1876 (qui interdisait toute implantation de cimetières confessionnels) a en effet été modifiée en 2005.
- Une injonction bien peu ordinaire dans un cimetière !
Les célébrités
Parmi les membres de la communauté israélite de Genève figurent quelques personnalités qui reposent dans ce cimetière. On compte ainsi la présence de :
Albert COHEN (1895-1981) : né d’une famille juive ottomane, ce grand ami de Pagnolrencontré à Marseille où, jeune, sa famille s’était installée, il devint haut-fonctionnaire attaché à la Division diplomatique du Bureau international du travail, à Genève. Il publia à partir de 1930 quelques romans sous la forme d’une épopée rabelaisienne et humaniste (Solal, Mangeclous) qui marquèrent la vie littéraire de son temps. Son roman Belle du Seigneur obtint le Grand prix du roman de l’Académie française. Celui qui milita toute sa vie pour le sionisme n’alla jamais en Israël.
Zino DAVIDOFF (1906-1994) : ce fils de commerçant transforma la petite entreprise de tabac familial en un empire du cigare. Elle se diversifia ensuite (parfums, chocolats...).
Stefan LUX (Istvan Lux : 1888-1936) : homme de lettres juif tchèque, d’origine hongroise, il se suicida en pleine session de la Société des Nations en 1936 pour alerter le monde sur les périls de l’antisémitisme allemand.
Edmond SAFRA (1932-1999) : banquier syrien naturalisé Brésilien, il fonda à Genève un empire bancaire. Il mourut asphyxié dans son appartement de Monaco par un incendie d’origine criminelle. Philanthrope, il contribua à la construction et la restauration de synagogues ; finança un grand nombre d’hôpitaux et d’établissements d’enseignement.
Edouard STERN (1954-2005) : banquier et héritier de la banque familiale, sa mort en 2005 défraya la chronique. Il fut tué par balles à son domicile genevois, et retrouvé encagoulé et moulé dans une combinaison typique des pratiques sadomasochistes. Le coupable était sa maîtresse, dans une affaire où se mêlèrent argent et domination perverse.
Source : Wikipédia
Jean Plançon, Histoire de la Communauté juive de Carouge et de Genève, volume 2, 1900-1946, Slatkine, Genève, 2010
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