MONTPELLIER (34) : cimetière protestant
par
Les photographies de Bernadette Bessodes, que je remercie pour sa contribution fréquente, et les informations des sites www.protestants-du-midi.com et www.huguenotsinfo.free.fr (largement utilisés pour la présentation historique du lieu), ont été utilisés pour réaliser cet article.
L’histoire du cimetière protestant de Montpellier
Au début de la Réforme à Montpellier, les adeptes de la nouvelle religion étaient inhumés dans les mêmes cimetières que les catholiques. Mais en 1565, la hiérarchie catholique obtint du gouverneur du Languedoc, Henri de Montmorency, une décision interdisant aux Réformés l’usage des cimetières communs.
Le premier cimetière protestant (1565-1624)
En 1565, un gentilhomme huguenot fit don à la communauté réformée d’un champ pour servir de lieu de sépulture à ses coreligionnaires. Le premier cimetière était situé hors les murs, au niveau du bastion de la reine de la citadelle (où se trouve actuellement le Centre Régional de Documentation Pédagogique) ; il s’étendait sur une partie du Polygone et allait de l’autre côté, jusqu’au champ de Mars (proche de l’Office du Tourisme). Ce cimetière, gravement endommagé pendant le siège de 1622, fut supprimé en 1624 lors de la construction de la citadelle par Louis XIII.
Le second cimetière protestant (1632-1685)
En application de l’édit de Nantes et sur injonction de la chambre de l’édit de Castres, les consuls de la ville durent acheter en 1632 plusieurs jardins en vue d’y établir une nécropole pour les protestants. Ce nouveau cimetière devait se situer sur un terrain allant de l’actuel temple de la rue Maguelone jusqu’à la rue d’Obilion. Les protestants conservèrent ce lieu jusqu’à la révocation de l’Edit de Nantes, en 1685. A partir de cette date et pendant plus d’un siècle, les protestants durent ensevelir leurs morts clandestinement dans des propriétés privées. En 1787, l’édit de tolérance prévoit dans son article 27, que les maires et autres administrateurs de ville étaient tenus de destiner aux non catholiques pour leur inhumation « un terrain convenable et décent… à l’abri de toute insulte ».
Le troisième cimetière protestant (1789-1799)
Fort de cet édit, les protestants réclamèrent à la ville l’achat d’un terrain. En 1789, un terrain de 3600 m, situé entre le chemin des Molières (la rue Chaptal) et l’avenue de Toulouse (l’avenue Georges Clemenceau), fut acquis pour moitié par la ville, l’autre moitié par des paroissiens servant de prête-nom au consistoire. En 1793, la Convention déclara les biens communaux comme « biens nationaux ». L’autre moitié du terrain fut vendue en 1799. De nouveau les protestants durent inhumer leurs morts dans des propriétés privées ou dans le cimetière commun de l’hôpital général situé entre le Verdanson et l’actuel boulevard Pasteur. Ce dernier cimetière ferma en 1849 au moment de la mise en service du cimetière Saint-Lazare.
Quatrième et actuel cimetière protestant à Montpellier
En 1809, après 5 ans de démarches administratives, la ville acheta le « Champ Jaoul » de 3500 m2, situé en face de la fontaine de Lattes, bordé au Sud par le ruisseau des Aiguerelles, et engagea ainsi la création du cimetière actuel. La première inhumation, celle de Marguerite Bouvier, eut lieu en novembre 1809.
Le cimetière fut agrandit à plusieurs reprises (1824, 1880). C’est en 1880 que fut édifiée la chapelle à l’entrée du lieu. Le cimetière protestant se présente aujourd’hui sous la forme d’un triangle d’une superficie d’un hectare et demi, contenant 1472 concessions au total. C’est un lieu très arboré qui a su conserver l’essentiel de son patrimoine ancien.
Les personnalités inhumées ici, à l’exception d’un très petit nombre, causent peu à l’ensemble des Français. C’est évidemment différent pour les Montpelliérains pour lesquels ces noms rappellent squares, avenues et boulevards. Ici comme ailleurs, l’histoire de la ville se lit dans le cimetière. En l’occurrence, deux traits caractéristiques de Montpellier se dessinent : sa fonction universitaire dans le domaine de la médecine, qui date du Moyen-âge, et bien entendu sa forte population protestante, dont plusieurs pasteurs et théologiens reconnus, qui reposent dans le cimetière. L’évocation plus précise des noms de familles protestants à Montpellier témoigne de la force et des solidarités de la diaspora des Huguenots suite aux persécutions, et on lit ici des noms que l’on peut trouver sur une vaste zone qui relie Genève, en passant par l’Ardèche et la Drôme.
Hormis Frédéric Bazille qui apporte la touche artistique, on cherchera en vain ici la gaudriole ou la fantaisie : le cimetière protestant de Montpellier égrène la longue liste des doyens de facultés, des théologiens de Montauban, des missionnaires et des pasteurs, élite intellectuelle méridionale rejetant au cimetière Saint-Lazare toute trace de bohème !
Curiosités
Parmi le peu d’œuvres d’art que contient ce cimetière, on notera le buste en bronze du conseiller général Ernest Audibert (+1901), réalisé par Auguste Baussan (section E).
La belle tombe néoclassique du général du tsar Aleksandr de Reutern (+1879) (section N).
Le beau sarcophage néoclassique de deux sœurs américaines (Smith) (section HH).
C’est dans ce cimetière, en un lieu qui n’est plus connu, que fut inhumée en 1809 Judith de Saussure, sœur du célèbre Horace de Saussure. Bien que l’on ne s’attende pas à la trouver ici, c’est pourtant dans ce cimetière que repose Amélie Macaire (+1852), la mère de Ferdinand von Zeppelin, le célèbre constructeur de dirigeables (section E).
Célébrités : les incontournables…
Aucune
… mais aussi
Le peintre Frédéric BAZILLE (1841-1870) est sans doute la personnalité jouissant de la plus grande notoriété de ce cimetière. Issu de la bourgeoisie protestante de Montpellier, il abandonna une carrière médicale pour suivre des cours de dessin et de peinture dans l’atelier du sculpteur Baussan. Il s’installa à Paris en 1862 et se mit à fréquenter toute la génération impressionniste (il est en particulier l’un des modèles du Déjeuner sur l’herbe de Manet. Il figure également dans la célèbre toile de Fantin-Latour Un atelier aux Batignolles). Il partagea ses divers ateliers avec Renoir et Monet, et dès 1865 exposa au Salon, sans grand succès. Engagé en 1870 dans un régiment de zouaves, il fut tué, à 29 ans, au combat de Beaune-la-Rolande. La première exposition des Impressionnistes, où plusieurs de ses toiles furent exposées, eut lieu en 1874, quatre ans après sa mort. Son œuvre est essentielle dans la peinture impressionniste : sa palette s’éclaircit et se colora avec le temps. Il s’attacha en particulier à combiner la peinture de figures en plein air avec une concentration intense sur la lumière naturelle. Avec lui repose son père, l’avocat Jean- François Gaston BAZILLE (1819-1894), qui fut sénateur de l’Hérault de 1879 à 1888. Spécialiste des questions viticoles, et très averti des maladies de la vigne, il découvrit le premier le phylloxera, dans les Bouches-du-Rhône. Il écrivit de nombreux articles à ce sujet pour conseiller la mise à l’essai de plants américains et leur greffage sur les plants français. Leur tombe, qui honore Frédéric, est ornée d’un buste en marbre par Auguste Baussan et d’une statue en bronze par Chapu, fondue par Barbedienne (section C). Il est à noter que dans la section E de ce cimetière se trouve toujours la tombe de l’arrière-grand-père de Frédéric, Marc Antoine Bazille, mort en 1820 à Montpellier.
- Portrait de Renoir par Bazille
Le physicien Fernand BEAULARD de LENAIZAN (1857-1940), professeur à la Faculté des Sciences à partir de 1920. Il repose sous le vénérable tombeau de famille (section F).
L’ouvrier typographe Jean-Baptiste BÉNÉZECH (1852-1909), qui fut de 1898 à sa mort député socialiste de l’Hérault. Son buste gît sur sa tombe (section Q).
Le médecin Justin BENOIT (1813-1893), professeur d’anatomie à la Faculté de Médecine dont il devint doyen. Il repose dans le tombeau Perrier (voir plus loin) (section HH).
Les médecins et professeurs de la Faculté de Médecine Emile (1832-1924) et son fils Henri (1862-1952) BERTIN-SANS (section D).
Jean CADIER (1898-1981) : pasteur dans la Drôme et professeur à la faculté protestante de théologie de Montpellier dont il fut le doyen, son activité pastorale fut marquée par le Réveil de la Drôme. Il fut un artisan du renouveau théologique du milieu du siècle et de la réunification des Eglises réformées en France en 1938. Il s’illustra dans la Résistance durant la Seconde Guerre mondiale (section I).
Marius CARRIEU ( 1851-1919 ) : professeur à la Faculté de Médecine (section G).
Alfred CASTAN ( 1835-1891 ) : doyen de la Faculté de Médecine et beau-père du peintre Max Leenhardt (section HH).
Albert CASTELNAU (1823-1877) : riche propriétaire de l’Hérault, il s’engagea résolument contre le coup d’état de 1851 et fut déporté quelques années en Algérie, avant d’aller en exil en Angleterre, où il écrivit plusieurs livres, dont « la question religieuse » où il développa ses idées sur l’athéisme et l’anticléricalisme. . Il fut élu en 1871 député et siégea à l’assemblée nationale avec les républicains. Il décéda peu après le début de son second mandat, atteint probablement de paludisme, suite à sa déportation (section C).
Le géologue et préhistorien Paul CAZALIS de FONDOUCE (1835-1921) (section H).
Le chimiste Gustave CHANCEL (1822-1890), qui travailla avec
Théodore Pelouze, et qui fut recteur de l’académie de Montpellier (section HH).
Le chimiste Emile DIACON (1827-1893), qui fut directeur de l’Ecole Supérieure de Pharmacie (section B).
Daniel ENCONTRE (1762-1818) : premier doyen de la Faculté des Sciences de Montpellier, il fut le professeur de mathématiques du jeune Auguste Comte sur lequel il eut un puissant ascendant. Il fut également professeur à la Faculté de Théologie de Montauban. Sur son mausolée très abîmé est posée une plaque, « Pieux hommages des Positivistes » au « maître vénéré d’Auguste Comte » (section I).
Le major Georges FLANDRE (1899-1944), officier de l’Armée du Salut et chef de la Résistance pour les Bouches du Rhône, qui fut fusillé par les Allemands (section CC).
Le toxicologue Henri FONZES-DIACON (1868-1935), qui fut doyen de la Faculté de Pharmacie (section D).
Jeanne GALZY (Jeanne Baraduc : 1883-1977) : enseignante, elle souffrait d’une maladie des os qui l’envoya en convalescence à Berck. Elle se servit de cette expérience pour écrire Les Allongés, qui reçut le Prix Femina en 1923 : quarante ans plus tard, elle devint membre de ce même jury et le resta jusqu’à sa mort. Son œuvre, en particulier L’Initiatrice aux mains vides dépeignant les amours entre une professeur et une élève, accorda une grande place au désir lesbien, contrarié par la morale bourgeoise de province (section M).
Le docteur Gaston GIRAUD (1888-1975), qui fut doyen de la Faculté de Médecine. Avec lui repose Henri VILLARD (1869-1959), également médecin dans la même faculté (section II).
Le contre-amiral Robert KILIAN (1895-1959). Il était le frère de « l’inventeur du pétrole saharien », Conrad Kilian, qui disparut dans des circonstances étranges, et qui repose avec leur père au cimetière Saint-Roch de Grenoble (section A).
L’avocat Albert LEENHARDT (1864-1941), qui fut également un
historien de Montpellier et de sa région (section I).
Les leenhardt sont une famille protestante très implantée à Montpellier. Parmi leurs descendants, on trouve ainsi le journaliste et ancien présentateur du JT de France 2 Etienne Leenhardt, le peintre Max Leenhardt ou encore le réalisateur Roger Leenhardt. Dans ce cimetière repose également :
Etienne LEENHARDT (1875-1938), qui fut professeur de clinique médicale infantile et enseignant à la faculté de médecine de Montpellier (section I).
Franz LEENHARDT (1846-1922), professeur à la Faculté de Théologie de Montauban (section E).
Henry LEENHARDT (1900-1961) : petit-fils du précédent, il devint biologiste et travailla dans les laboratoires de la faculté des Sciences de Paris et du Muséum national d’Histoire Naturelle. Il devint par la suite professeur d’histoire religieuse, puis doyen de la Faculté de théologie de Montpellier (section F).
Le général Jacques David MARTIN de CAMPREDON (1761-1837), qui s’illustra particulièrement en Italie durant les campagnes de Bonaparte. Ministre intérimaire de la Guerre du roi Joseph Bonaparte, il accompagna en Russie les troupes napolitaines. Baron, Pair de France, son nom est gravé sur l’Arc de Triomphe à Paris. Dans l’enclos funéraire familiale repose également son frère, le magistrat et poète Pierre MARTIN de CHOISY (1756-1819). (section H).
Le chimiste William OECHSNER de CONINCK (1851-1916), qui fut professeur à la Faculté de Sciences (section Q).
Jules PAGEZY (1802-1882) : maire de Montpellier de 1852 à 1869, il mena une politique haussmannienne qui modifia profondément l’aspect du centre-ville. Député de l’Hérault de 1863 à 1869, il en fut sénateur de 1876 à 1878. Il siégea dans la majorité dynastique, défendant à la Chambre les intérêts de la viticulture (section E).
Le général Eugène PAGEZY (1876-1939) : neveu du précédent, spécialiste des questions de balistique, il fut pendant la Première Guerre mondiale l’inventeur de la technique du tir antiaérien. Dans la tombe repose également son fils, le lieutenant Philippe Pagezy, fusillé par les Allemands en 1944 (section I).
Le général François PERRIER (1835-1888), qui se fit un nom dans la science. Membre du Bureau des Longitudes en 1875, mis à la tête du service de géodésie de l’armée française en 1879, il fut envoyé comme délégué à la conférence de Berlin pour établir la frontière gréco-turque. Il fut élu membre de l’Académie des Sciences. On doit à Perrier l’organisation de l’Observatoire géodésique de Montsouris et celle d’un Observatoire météorologique sur le dôme de l’Aigoual, montagne qui domine sa ville natale. Avec lui repose son fils, Georges PERRIER (1872-1946), également général et également géodésiste, lui aussi membre de l’Académie des Sciences. C’est également dans ce tombeau que repose le médecin Justin Benoit (voir plus haut) (section HH).
Jules PLANCHON (1823-1888) : botaniste français, il fut directeur de l’Ecole supérieure de Pharmacie en 1859, puis professeur à la faculté de Médecine en 1881, avec dans ses attributions la direction du Jardin des plantes. Il devint célèbre lors de la crise du phylloxéra, d’abord en faisant partie du groupe de trois experts (avec Gaston Bazille –voir plus haut- et Félix Sahut) qui détecta le phylloxéra sur des racines de vigne à Saint-Martin-de-Crau, le 15 juillet 1868, ensuite parce qu’il préconisa pour lutter contre la maladie le greffage des variétés de vignes françaises sur des racines de plants américains, ce qui fut un succès. L’agronome Dehérain écrivit : « La postérité ne se souviendra ni des travaux de botanique descriptive de M. Planchon, ni de son talent d’écrivain, ni des qualités de professeur ; elle résumera son jugement en un mot : M. Planchon, après avoir démontré que le phylloxéra était la cause de la mort de la vigne, a contribué pour une large part à la reconstitution des vignobles en préconisant les plants américains. Il a ainsi préservé d’une ruine complète toute notre région méridionale. Telle est son oeuvre ; elle est assez belle pour lui assurer la reconnaissance de tous ». La tombe contiguë à la sienne renferme la dépouille de son fils, le docteur Louis PLANCHON (1858-1915), qui fut professeur à l’Ecole Supérieure de Pharmacie (section K).
Le gynécologue Georges de ROUVILLE (1863-1928), qui fut professeur à la faculté de Médecine (section HH).
Le géologue Paul de ROUVILLE (1823-1907), qui fut doyen de la Faculté des Sciences et qui laissa une œuvre volumineuse sur la formation géologique de l’Hérault (section F).
Armand SABATIER (1834-1910) : médecin, il se spécialisa dans l’anatomie humaine. Après avoir été nommé chirurgien chef des ambulances du Midi durant la guerre de 1870, puis être devenu professeur d’anatomie, il s’intéressa aux invertébrés des milieux marins et devint ainsi le premier zoologiste français à comprendre l’intérêt des techniques histologiques. Il fonda la station zoologique de Sète en 1879, puis fut de 1891 à 1904 à la tête de la Faculté des sciences en tant que Doyen tout en étant un chercheur productif reconnu du monde scientifique (section V).
Le géographe Jules SION (1879-1940), qui travailla à l’Université de Montpellier, Il fut un spécialiste de l’Asie des moussons et du monde méditerranéen, en particulier de la Grèce (section K).
l’anthropologue et paléontologue Henri Victor VALLOIS (1889-1981), qui fut l’un des rédacteurs en chef de la Revue d’Anthropologie de 1932 à 1970, et directeur du Musée de l’Homme en 1950. Avec lui repose son beau-père, le physicien et astronome Samuel DAUTHEVILLE (1849-1940), qui fut doyen de la Faculté des Sciences de Montpellier de 1904 à 1921 (section II).
Une association fait un travail remarquable, en particulier sur le cimetière protestant de Montpellier. Son nom : « Mémoire Protestante Montpelliéraine »
Elle ne possède pas encore de portail internet mais y travaille actuellement. On peut pour l’instant les découvrir seulement sur le portail des associations de la ville de Montpellier, ainsi que sur le portail des associations de la SPPEF, qui a un groupe de travail sur les cimetières.
J’ai reçu l’autorisation d’intégrer ses intéressants bulletins dans cette page.
Un mail pour les contacter : pierre-yves.kirschleger@univ-montp3.fr
Commentaires