LYON (69) : ancien cimetière de la Croix Rousse
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Créé en 1824, ce cimetière se trouvait en retrait de la commune de la Croix-Rousse, à la limite de Cuire. Son plan avait été dessiné par Chenavard. Le cimetière est devenu propriété de la ville de Lyon en 1852, lors du rattachement de la Croix-Rousse. On le distinguera de son extension, appelée « nouveau cimetière de la Croix Rousse », que je présenterais dans un autre article.
S’il a perdu l’essentiel de ses plus anciens tombeaux, ce cimetière conserve un nombre conséquent de sépultures de la seconde moitié du XIXe siècle.
La dimension ouvrière, celle des fameux canuts et de l’industrialisation du lyonnais est très présente dans ce cimetière : elle l’est avec la présence de Pierre Dupont ; elle l’est également dans le caractère républicain de gauche de la totalité des députés inhumés ici. Elle l’est enfin dans des tombeaux, bourgeois ou modestes, qui trahissent les professions des habitants du quartier.
Curiosités
- Au fond du cimetière, un monument est symbolique de l’histoire de Lyon : c’est celui du commandant Arnaud (+1870), canut, chef d’atelier républicain, fusillé en 1870 en criant « Vive la République, vive Garibaldi ». Il eut des funérailles officielles, et la ville paya le monument. Le monument se présente sous la forme de trois stèles-colonnes riches de symboliques maçonniques et de compagnonnage.
- Ce cimetière est un lieu permettant d’évoquer deux faits divers tragiques qui connurent une notoriété nationale à leur époque :
le cénotaphe de Roger Duplat : en 1951, au cours de la troisième expédition française dans l’Himalaya, Roger Duplat et Gilbert Vignes disparurent dans la traversée de l’arête sommitale de la Nanda Devi. Sa mémoire est évoquée sur le tombeau de famille.
Une plaque étonnante : celle du petit Paul Gignoux, « lapidé à l’âge de 8 ans ». Ce qui aurait du demeurer un fait divers, si tragique soit-il, devint une affaire politique : cet enfant fut agressé par un groupe d’enfants et mourut peu après des suites de ses blessures. Très vite, l’affaire prit une tournure politique, dans le contexte de regain de l’extrême-droite opposé à la politique du Front Populaire : des enfants de la classe ouvrière avaient agressé un enfant d’une classe sociale aisée, ou encore : des petits communistes agressant un petit catholique issu d’une famille bourgeoise, dont le père était membre du PSF (Parti Social Français, fondé à la suite de la dissolution des Croix-de-feu par le colonel de La Rocque) ! Bref, un parfait exemple de récupération politique d’un drame ordinaire.
- Dans la partie droite du cimetière, certaines divisions sont maintenues à l’état de friches : de plus en plus, et c’est une bonne chose, les cimetières suppriment les traitements phytosanitaires les plus agressifs.
- Les oeuvres d’art :
- Sépulture des religieuses augustines
- La statue est du sculpteur Barraud.
- Sculpture de Guillaume Bonnet.
- Tombe de l’ingénieur Antoine Roze
- Médailon en bronze par Etienne Pagny.
- Une crucifixion, oeuvre de Robert Darnas
Célébrités : les incontournables...
Personne
... mais aussi
La comédien Georges BACONNET (1892-1961), sociétaire de la Comédie-Française qui ne négligea pas le cinéma dans les années 40 et 50.
Désiré BARODET (1823-1906) : instituteur révoqué pour ses convictions républicaines, il fit partie le 4 septembre 1870 du comité de Salut public lyonnais et fut élu conseiller municipal de Lyon, puis nommé adjoint au maire. À ce poste, il participa à la répression de l’émeute menée par Bakounine en décembre 1870, puis des mouvements communalistes qui naissaient en soutien à la Commune de Paris. Il fut à la tête de la délégation envoyée à Paris pour rencontrer Thiers et tenter de concilier la Commune de Paris et le gouvernement versaillais. Éphémère maire de Lyon en 1872, député de Paris de 1873 à 1896, il en fut sénateur de 1896 à 1900. En 1890, il proposa le principe de la publication des programmes et engagements électoraux des députés afin que chaque citoyen puisse vérifier si les engagements étaient tenus ; cet ouvrage nommé « le Barodet » est toujours d’actualité à l’Assemblée Nationale. Il repose sous un buste d’Henri Burban. L’épitaphe Les vieux Groléens fait référence eu Comité central républicain installé rue Grolée.
Le journaliste Auguste BLETON (1834-1911), figure culturelle lyonnaise ayant appartenu à un grand nombre de sociétés savantes et auteurs de plusieurs ouvrages sur la ville.
Le dernier maire de la Croix-Rousse indépendante Auguste-Pierre CABIAS (1802-1876), qui fut député bonapartiste de 1852 à 1857.
Le chef cuisinier Alain CHAPEL (1937-1990), trois étoiles Michelin, installé à Mionnay, dans l’Ain. Il fut l’un des noms les plus prestigieux de la nouvelle cuisine. Son restaurant, qui avait été maintenu après sa mort, ferma ses portes en 2012. Il fut inhumé à Mionnay, mais transféré ici en 2003.
La peintre Louise COTTIN (1907-1974), qui fut lauréate d’un second prix de Rome en 1934. On lui doit quelques fresques religieuses dans les églises de la région.
Valentin COUTURIER (1829-1902) : toiseur à la compagnie de chemin de fer Paris-Lyon-Marseille, il prit part au mouvement insurrectionnel de 1849, ce qui lui valut plusieurs années de prison. Conseiller municipal de Lyon sous la IIIeme république, il fut député du Rhône de 1889 à 1898, inscrit au groupe radical-socialiste.
Pierre DUPONT (1821-1870) : précurseur de la chanson ouvrière telle qu’elle se manifesta avec éclat chez Eugène Pottier (L’Internationale) et Jean-Baptiste Clément (Le Temps des cerises), Pierre Dupont fut d’abord canut, puis commis de banque. Alors qu’il commençait à écrire, il fait la connaissance de l’académicien Pierre Lebrun, ami d’un de ses grands-pères, qui encouragea ses travaux. Bientôt parurent Les Deux Anges (1842) et Les Paysans, chants rustiques. Pierre Dupont vit alors à Paris où il fréquente Murger, Baudelaire, Banville. Au contact de la ville, son inspiration changea radicalement : il renonça en effet à la tonalité bucolique des Paysans et écrivit Le Chant des ouvriers (1846), qui, dressant un portrait sans fard de la condition ouvrière et de l’exploitation à laquelle elle était soumise, devint l’hymne de la révolution de février 1848. Pierre Dupont écrivit également Le Chant des transportés (1848), lamento à la gloire des victimes des journées de juin. Inquiété après le coup d’État de Louis-Napoléon Bonaparte, puis gracié, il retourna à sa veine première, la chanson rustique. Son autre grand succès, composé avec Gounod, fut les Boeufs. Le buste en marbre qui orne sa tombe est de Pierre Girardet.
L’architecte lyonnais Etienne JOURNOUD (1828-1897).
Eugène PONS (1886-1945) : grande figure de la Résistance catholique lyonnaise, membre du Sillon, cet imprimeur fit des faux papiers pour la Résistance ainsi que des exemplaires des journaux de la Résistance. Arrêté, emprisonné à la prison Montluc, il fut déporté à Neuengamme où il mourut. Une rue de Lyon porte son nom.
Marcel TEPPAZ (1908-1964) : issu d’une famille qui fabriquait et entretenait les mécanismes des filatures, il créa en 1931 une entreprise d’assemblage de matériels radio et amplificateurs. Pendant la guerre, en 1941, il eut l’idée de remplacer l’entrainement par manivelle des phonographes par un petit moteur électrique : ainsi commença la mythique aventure des tourne-disques Teppaz, puis de l’électrophone portable en 1952. L’activité fut un véritable succès et s’exporta partout, au point de faire du « Teppaz » l’un des objets-culte des Trente Glorieuses.
Germain VALLIER (1821-1883) : républicain, il fut exilé par Louis Napoléon Bonaparte après le coup d’Etat de 1851. Il se réfugia à Annecy et devint secrétaire particulier d’Eugène Sue. De retour à Lyon après la mort de cet écrivain, il devint adjoint au maire de Lyon, puis sénateur du Rhône 1880 à 1883. Le buste en bronze qui orne sa tombe est du sculpteur lyonnais Arthur de Gravillon.
Bibliographie : on ne manquera de consulter un excellent ouvrage, récent de surcroît, paru sur les cimetières de Lyon. Il est riche à la fois dans la présentation des principales personnalités de la ville (même s’il est plus discret pour les personnalités contemporaines) et pour son iconographie. Il s’agit de :
BERTIN Dominique, Lyon et ses cimetières - découvrir la ville autrement, Editions lyonnaises d’Art et d’histoire, 2013
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