SAINT-MICHEL-EN-L’HERM (85) : Elle ramène son père fusillé en 1942

Article de Ouest-France - 09 mars 2012
vendredi 9 mars 2012
par  Philippe Landru

Pierrette avait 9 ans quand son père Alphonse a été fusillé par les Allemands. C’était le 6 février 1942, sur ce mont Valérien de sinistre réputation. Dans sa lettre d’adieu, il demandait que son corps soit ramené en Vendée. Ce sera chose faite samedi. Soixante-dix ans après.

« Mon amour adoré, je suis ferme, mais malgré tout, j’ai des larmes qui tombent en pensant à vous, toi et mes enfants. Je t’embrasse de tout mon coeur ainsi que mes trois chéris. Un dernier adieu mon amour tant aimé. À ma petite Pierrette, mon petit Jean et mon courageux Michel, je vous aime, au revoir à jamais. Je vais être enterré à Paris. Quand ce sera possible, après la guerre, je souhaiterais revenir auprès de vous, à Saint-Michel. » Voilà. C’est fini. Ce sont les derniers mots d’Alphonse Gouraud. Écrits dans l’urgence, dans la peur et les pleurs.

Au moment où il les écrit, il sait qu’il ne pourra pas échapper au peloton d’exécution. Le négociant de produits agricoles aura tout tenté. Même de s’évader, en sciant les barreaux de sa cellule de la prison du Cherche-Midi à Paris, avant de tomber et de se fracturer la jambe.

Ce 6 février 1942, à 16 h 20, à l’âge de 38 ans, il s’effondre sous les balles allemandes, comme plus de 1 000 autres, au Mont Valérien, à l’Ouest de Paris (Suresnes). Parce qu’il avait porté secours à deux aviateurs anglais, en juillet 1941, à Saint-Michel-en-L’Herm, un petit bourg vendéen de la baie de L’Aiguillon. Leur avion s’était abîmé après avoir tenté de couler un cuirassé allemand qui mouillait près de La Rochelle.

Vingt minutes plus tard, un autre Vendéen est fusillé. C’est Fernand Neau, son voisin. Lui aussi a été condamné à mort pour avoir aidé et caché les deux Anglais, toujours vivants à la fin de la guerre.

Alphonse Gouraud laisse derrière lui sa femme, Gabrielle, très affaiblie par la maladie, et trois enfants, Michel, 16 ans, Jean, 13 ans, et Pierrette, la petite dernière, 9 ans. « Sa poupée, comme il disait », sourit Pierrette. C’est elle qui ouvrira la lettre d’adieu de son père. Parce que sa mère est à l’hôpital. La lettre est dans un colis, avec les vêtements de son père, « tachés de sang ».

Elle ne dit rien à sa mère malade. Elle garde enfouis les mots de son père. « Je ne sais pas comment j’ai fait pour ne rien lui dire, pour lui cacher tout ça, » raconte-t-elle aujourd’hui. Chaque jour, elle écoute sa mère broder des projets. « Elle me disait, tu verras, quand ton père reviendra... » La petite Pierrette sait bien pourtant qu’elle ne verra rien de tout ça. Quelques mois plus tard, c’est au tour de sa mère de s’éteindre. « Dans mes bras. »

« Je vais être enterré à Paris »

En quelques mois, la guerre a tout pris à Pierrette. Parce que sa famille a secouru des aviateurs en détresse. « Plus de père, plus de mère, obligée de quitter son village, c’est un grand vide », se souvient-elle. Michel, Jean et Pierrette sont dispersés. Jean ira grandir chez son grand-père. Michel s’envole pour les États-Unis, où il deviendra pilote d’avion ! Et Pierrette est confiée à sa tante, à Paris, se rapprochant du cimetière où repose son père. Là-bas, elle fleurit régulièrement sa tombe. Elle se marie, devient secrétaire. Mais dans sa tête trottent des mots de la lettre de son père.

Une phrase, en particulier, revient en boucle. La volonté exprimée par Alphonse de reposer au pays. Et Pierrette aimerait pouvoir l’honorer. « L’idée ne m’a jamais quittée. » Ça n’a pas été possible au lendemain de la guerre. Pour des questions financières. Mais aussi parce que personne, dans la famille, n’a pu donner suite aux propositions de rapatriement faites par le gouvernement.

Au milieu des années 1990, Pierrette reprend son bâton de pèlerin pour faire transférer le corps d’Alphonse en Vendée. Mais s’épuise dans les démarches administratives. Jusqu’à ce 25 juillet 2011. Ce jour-là, une plaque en hommage à son père et à Fernand Neau est dévoilée à la Pointe de L’Aiguillon, village voisin de Saint-Michel-en-L’Herm. Des historiens locaux ont réussi à sortir de l’oubli les deux héros vendéens anonymes.

Pierrette rencontre l’un de ces historiens, Jean-Michel Caquineau. Parle des dernières volontés de son père. De ses difficultés à le faire revenir dans son berceau familial. « Il m’a dit qu’il allait s’occuper de tout ça. » Quelques mois après, le dossier se débloque. Pierrette peut enfin ramener son père à la maison. Elle n’y croyait plus. « J’avais tout essayé, même écrit à Sarkozy. »

Pour préparer le retour du corps, Pierrette est venue, de Vannes, dès mercredi en Vendée. À quelques jours de la cérémonie, elle a le trac. Mais la satisfaction intense du devoir accompli. «  Je vais pouvoir finir ma vie en paix. » Samedi, Alphonse va enfin rejoindre sa femme Gabrielle dans le caveau de famille. Grâce à Pierrette. « Je serai enterrée dans le même caveau, dit-elle, avec mon père.  » Plus question de se séparer.


Commentaires

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SAINT-MICHEL-EN-L’HERM (85) : Elle ramène son père fusillé en 1942
dimanche 13 août 2017 à 18h12 - par  grolet

bonjour tout d’abord bravo pour votre perseverence.je suis l’arriere petite niece de NEAU fernand ernest adrien l’homme qui a ete executé avec Alphone.tres emue de votre temoignage.

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jeudi 31 octobre 2019 à 16h16 - par  Jean Michel Dozier

Bonjour,

Je fais quelques recherches modestes sur les "French Helpers". Ce sont toutes ces personnes reconnues après-guerre par les autorités alliées pour avoir aidé leurs ressortissants à être exfiltrés de France.
Alphonse GOURAUD a été reconnu comme Helper ainsi que Rose et Rose NEAU (mère et fille) et ont donc leur dossier dans les archives américaines aux USA.
Il pourrait être intéressant d’alerter la descendance de ces deux fusillés de l’existence de ces dossiers.
Très cordialement
Jean Michel Dozier
Directeur d’école à la retraite

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SAINT-MICHEL-EN-L’HERM (85) : Elle ramène son père fusillé en 1942
samedi 10 mars 2012 à 05h48 - par  Jl Sabatier

Belle persévérance et fidélité à la mémoire de son père qu’elle.n’avait que très peu connue.
Respect à une époque ou les valeurs disparaissent.

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