AUBERVILLIERS (93) : cimetière communal dit « du Pont-Blanc »
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C’est en 1863 qu’ouvrit ce troisième cimetière de la commune : le premier se trouvait autour de l’église ND des Vertus, tandis que le second avait été édifié à quelques encablures de celui-ci, mais avait été rapidement plein. Au sein d’une commune comme Aubervilliers, c’est-à-dire celle d’un tissus urbain qui change de manière considérable, le « vieux » cimetière, au bout de son allée très parisienne, mais à proximité de tours très contemporaines, apparaît comme une enclave de sérénité peu visité, mais recelant néanmoins quelques tombes dignes d’intérêt.
Ici comme ailleurs se reflète l’histoire de la ville, et plus encore des bouleversements gigantesques de la banlieue rouge dans les cent dernières années : peu de familles bourgeoises, hormis celles de cultivateurs maraîchers ayant fait fortune en raison de la proximité avec la capitale, et des Halles en particulier, puis les témoignages de l’industrialisation de la ville, avec quelques grandes industries (dont les propriétaires allèrent généralement se faire inhumer ailleurs, au Père Lachaise ou à Passy). Le monde ouvrier, toujours lui, dans la diversité d’une commune qui fut dirigée par le communiste Charles Tillon après l’avoir été... par Pierre Laval ! Ce dernier se rappela sans doute de l’opposition qu’il y avait connu, car nombreux furent les communistes fusillés à Aubervilliers sous ses ordres, inhumés pour certains en ce lieu. Plus subtile : l’opposition entre les communistes « résistants de la première heure », malgré l’opposition de Moscou à l’époque du pacte de non-agression, et ceux qui attendirent l’invasion allemande de l’URSS pour y entrer... Toutes les grandes heures de la gauche jusqu’à nos jours sont représentées dans le cimetière : les victimes de guerre, celles de combats politiques, de l’opposition à la politique coloniale, ceux de Charonne 1962... La diversité enfin, plus récente mais forte, venue du Maghreb puis du reste de l’Afrique.
Une histoire d’une telle richesse mérite bien d’être parcourue le temps d’une visite...
Curiosités
A l’entrée du cimetière, l’ancienne demeure du conservateur, à l’abandon et fermée, attends des jours meilleurs... Ces maisons étaient quasi systématiquement construites dans cimetières de la banlieue parisienne, et beaucoup ont été abandonnées.
Deux très belles tombes Art nouveau (Jacob-Collantier et Lejemtel-Trouet).
Étonnante présence d’un « Adolphe Hittler », de neuf ans l’aîné de son sinistre quasi-homonyme. Au moins sa mort prématurée en 1934 lui a-t-elle évitée un bagage aussi encombrant par la suite !
Comme beaucoup de cimetières, Aubervilliers possède des carrés militaires : plus rare cependant, sur une des tombes se trouve un casque Adrian et sur une autre une hélice d’avion !
Le 28 mai 1952, Hocine Belaïd, militant communiste, employé communal à Aubervilliers, tombait sous les balles de la police réprimant la manifestation contre la venue à Paris du général Ridgway qui venait d’être nommé au commandement militaire de l’OTAN. Le mouvement de la paix auquel s’étaient joints le parti communiste et la CGT voulaient marquer leur opposition à « Ridgway la peste », connu pour avoir mené en Corée une guerre bactériologique.
Le 23 mai 1892, quatre artilleurs qui faisaient une tranchée devant le fort d’Aubervilliers furent tués par un éboulement. Ce fait divers donna lieu à une tombe commémorative dans le cimetière.
Célébrités : les incontournables...
Aucune
Le grand comédien Firmin Gémier, créateur du TNP, est dit s’appeler Tonnerre dans ses biographies : c’est effectivement le nom de sa mère, mais il prit pour nom de scène celui de son père, Firmin Gémier également. Ce dernier, né en 1834 et mort en 1888, repose dans ce cimetière (Firmin Gémier fils repose à Saint-Amour, dans le Jura).
C’est également ici que se trouve la tombe de la première épouse de Charles Tillon [1] (qui repose à Rennes après avoir reposé à Marseille), des ascendants du comédien Albert Préjean (qui repose à Auteuil).
... mais aussi
Le dompteur ALEXIANO (Jean-Baptiste Grenouillat : 1846-1918), qui avait prit sa retraite à Aubervilliers. Il logeait dans la zone se situant entre Paris et Aubervilliers, à proximité des halles de la Villette, nécessaires pour nourrir les fauves. Sa soeur Marie avait épousé le fameux dompteur Jean-Baptiste François Bidel : leur fille Jeanne épousa le non moins célèbre Alphonse Rancy ( pour plus de détails, voir On enterre aussi les clowns). Ainsi Alexiano devint-il parent de toutes les grandes familles circassiennes. Sa tombe se signale par un petit lion. Un article plus approfondi traite de cette sépulture dans l’excellent blog Le piéton de Paris.
Mouloud AOUNIT (1953-2012) : militant associatif et politique, il fit toute sa carrière à Aubervilliers où, natif de Kabylie, il était arrivé jeune. En 1983, il avait participé à la Marche des beurs pour l’égalité et était devenu président de la fédération de Seine-Saint-Denis du MRAP. Il avait été président du Mrap de 2004 à 2008 mais avait été contesté en raison de son engagement dans la campagne de la candidate communiste à l’élection présidentielle, Marie-George Buffet, puis à cause de son engagement privilégiant la lutte contre l’islamophobie.
Yasmine BELMADI (1976-2009) : jeune acteur français d’origine algérienne, il avait été remarqué dans plusieurs films dans lesquels il avait interprété des rôles de « beurs gays » marqués par l’errance et les désillusions (Les corps ouverts, Les amants criminels...). Sa carrière était en plein essor lorsqu’il se tua de manière accidentelle et brutale : il perdit le contrôle de son scooter en jetant sa cigarette et percuta un lampadaire.
Le boucher Jean-François BRUNEAU (1833-1910), inventeur en 1872 d’un fameux « masque » qui portait son nom, et qui était destiné à tuer les boeufs en évitant la souffrance. Adopté par l’Etat, il devint obligatoire et fit le succès et la fortune de son inventeur, mais fut remplacé en 1928 par le pistolet à tige perforante.
Paul FAIVRE (1886-1973) : comédien de théâtre et de cinéma, il tourna beaucoup dans des petits rôles, en particulier des rôles de grands-pères (Le Grand Restaurant, Archimède le clochard, Les Vieux de la vieille...).
Henri MANIGART « Papa » (1898-1982) : de nationalité belge, ce cordonnier d’Aubervilliers entra dans la résistance en organisant un réseau d’entraide et d’évasion de prisonniers de guerre à Aubervilliers. Il fournit, grâce à un service de faux-papiers des pièces d’identité à environ 3 000 prisonniers évadés et réussit également à faire évader plus de 300 aviateurs alliés. Sous son impulsion, des milliers de fausses cartes d’identité furent délivrées et des tickets d’alimentation distribués aux résistants et aux réfractaires du STO. Il fut fait Compagnon de la Libération.
Joe ROSSI (1922-1994) : engagé dans l’orchestre de Jack Hilton pendant deux ans en 1937, cet accordéoniste joua des standards de jazz. En 1943, amputé d’un doigt de la main droite, avec force et volonté il reprit l’étude de nouveaux doigtés. A la libération, il perfectionna son jeu à l’orgue et au piano au point de devenir pendant deux ans le pianiste de Georges Jouvin. Il rencontra Juliette Gréco en 1960 et l’accompagna pendant trois ans, puis il se lia d’amitié avec Alain Barrière qu’il suivit à travers le monde entier.
Le champion de France de boxe Emmanuel « Titi » CLAVEL (1925- 1996).
Merci à Pierre-Louis Ballot pour les photos Belmadi.
[1] Marie-Louise Camaillat, décédée en 1947
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