MAGNAC-LAVALETTE-VILLARS (16) : château de la Mercerie
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Il était une fois…
Il était une fois les Réthoré, famille comptant trois fils. Le père, marchand de cochons en Anjou, meurt jeune. Quelques mois plus tard, la mère se remarie avec le médecin de famille, Célestin Priouzeau, un Vendéen anticlérical (ça existe), amoureux fou de la dive bouteille… et de la vitesse. Deux bonnes raisons pour qu’en 1916, toute la famille soit victime d’un accident de voiture coûtant la vie au fils aîné, Alexandre. Restent ses deux frères, Raymond et Alphonse, que ce drame unit pour la vie entière.
Célestin a des relations. Il connaît un certain Édouard Herriot, qui remarque l’aisance oratoire et le joli talent de plume de Raymond, le beau-fils de son ami. « Tu t’intéresses à la politique ? Va donc en Charente. Là-bas, il y a des places à prendre », conseille le grand leader radical.
Aussitôt dit, aussitôt fait. En décembre 1924, le château de La Mercerie à Magnac-Lavalette, une grosse gentilhommière de style Viollet-le-Duc, est acheté 80 000 francs. Une belle somme pour l’époque.
Deux complices
En Charente, Raymond se lance dans le journalisme quand Alphonse entame des études de médecine. Mais le bistouri et le stéthoscope ne le passionnent guère. Il préfère le crayon et le fil à plomb. Il se voit architecte, tourne le dos à Hippocrate et trouve en Raymond le complice idéal pour encourager ses rêves de constructeur. Nous sommes au début des années 30. Les deux frères veulent agrandir le manoir. Alphonse dessine bâtiments et façades. Les ajouts empruntent aux temples grecs, à la Renaissance et même à l’Empire. Colonnades et balustres évoquent Versailles.
Raymond, quant à lui, devient maire de Magnac en 1932 sans même briguer les voix des électeurs ! En 1936, le voilà propulsé à l’Assemblée nationale sous une étiquette radicale-socialiste. Après-guerre, il entre en gaullisme comme d’autres en religion. Alphonse est réélu en 1958 et reste député jusqu’en 1978.
Ces années-là sont fastes. Alphonse dirige la manœuvre des tailleurs de pierre, souvent des gars du pays embauchés à temps plein et formés sur le tas. Il suit les conseils du peintre italien Adolfo Tagliaferri et du sculpteur Pederzoli, invités en Charente. Raymond, voyageur impénitent, court les salles de ventes et butine chez les antiquaires de l’Europe entière, constituant une impressionnante et hétéroclite collection d’œuvres d’art. Il rapporte peintures et sculptures, lambris et azulejos…
Ils reposent dans deux piliers
Oui, ces années-là sont fastes mais dispendieuses. En 1970, l’argent manque, les travaux sont interrompus. Vaisseau fantôme dominant la campagne charentaise, la grande galerie de 220 mètres ne restera qu’une façade en trompe-l’œoeil.
Les frères Réthoré avaient fait fortune dans la vente de machines pour pressing, mais ils avaient aussi perdu des sous dans un projet d’élevage intensif de bovins. Dans les années 70, le porte-monnaie des Réthoré sonne donc creux. Monsieur Alphonse, (comme on l’appelait dans le pays) commence à perdre la tête.
« Il était souvent habillé comme un « rabalou », mais qu’est-ce qu’il était beau avec ses grands cheveux blancs », se souvient une dame du pays.
Alphonse, malade, décède en 1983 à l’hôpital spécialisé de Breuty. Il est inhumé à La Mercerie, dans un pilier préparé à cet effet : 4 mètres de large, de quoi y loger un cercueil à plat et non pas debout comme le veut une légende erronée. Raymond fait apposer une plaque de marbre dont le texte, tout un symbole, débute par ces mots : « Ici repose mon frère ».
À 82 ans, le parlementaire honoraire, resté sans héritier, doit songer à sa succession. Il comptait léguer La Mercerie et ses trésors à Solange, sa complice secrétaire de toujours, la fille de son ancienne gouvernante et de son jardinier, mais celle-ci meurt dans un accident de voiture. Il apprend qu’un nouveau riche du cognac serait intéressé par le domaine. Pas question !
Il propose de léguer l’ensemble à l’Assemblée nationale alors présidée par Chaban : refus. Même réaction de la Ville d’Angoulême, qui accepte néanmoins les 5 000 volumes de la bibliothèque. Le 15 décembre 1986, Raymond décède et intègre le pilier voisin de son frère.
Vente aux enchères
La succession est complexe ; la dette au fisc très lourde. La seule solution consiste à vendre aux enchères une grande partie du mobilier et des œoeuvres d’art.
« Des pièces exceptionnelles et très rares. Il n’y avait rien de commun », se souvient un expert. En juin 1987, la vente rapportera 18 millions. Preuve que Monsieur Raymond était un connaisseur.
Monument classé peu de temps après, La Mercerie est vendue en 1988 à Bernard Steinitz, un antiquaire de l’avenue Matignon à Paris. Lequel vient très rarement dans sa propriété qu’il cherche à vendre. Celle-ci, peu à peu, devient le royaume des gouttières et le paradis de hiboux trouvant l’endroit très chouette.
René Fillonneau, le dernier employé des Réthoré qui, par disposition testamentaire, bénéficie de son logement de fonction jusqu’à sa mort, est à la retraite. Il entretient ce qu’il peut du mieux qu’il peut.
Un jour de septembre 1995, un visiteur vient se recueillir devant la tombe de Monsieur Raymond, qu’il avait « fort bien connu et apprécié ».
Ce pèlerin s’étonne de l’état de délabrement de la propriété et ne pas cache pas sa colère en découvrant la plaque mortuaire, brisée depuis longtemps, jamais remplacée. « Que voulez-vous, je fais de mon mieux, mais je suis à la retraite », lui explique René Fillonneau, un peu gêné. « Moi aussi », répond cet homme aux traits marqués par la maladie. C’est la dernière fois que François Mitterrand est venu à La Mercerie.
Merci à Nicolas Badin pour les photos.
Source : version actualisée et remaniée d’un texte de Patrick Guilloton publié en 1999 dans « Sud Ouest Dimanche ».
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