MENTON (06) : cimetière du Trabuquet
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Sur la hauteur qui surplombe les campaniles de l’église Saint-Michel et de la chapelle des Pénitents Blancs, deux cimetières se détachent devant le ciel. Le plus éloigné s’appelle le Trabuquet, nom venant des pièges que l’on tendait autrefois aux oiseaux de passage sur la colline.
Un dédale toujours ascendant de coursives, de terrasses, d’escaliers, de numéros de divisions incohérents ; l’absence de tout personnel pour me guider ; la fatigue d’une journée dans les pattes et, en particulier quelques temps avant, la visite du cimetière du vieux château ; le soleil de juillet enfin, toujours implacable sur les dalles blanches : bref, tout cela pour expliquer que très exceptionnellement, le cimetière du Trabuquet a eu raison de moi, et que ma visite n’a été que très superficielle. C’est rare, car même s’il m’arrive de me décourager à l’arrivée devant l’ampleur de la tâche, la passion et la curiosité finissent toujours par l’emporter (c’est particulièrement vrai pour un cimetière si éloigné de Paris, avec en plus des personnalités qui m’intéressent). Là, j’ai cédé. Les quelques trouvailles que j’y ai faite ne peuvent donc dissimuler tout ceux que je n’ai pas trouvé, mais le site est vraiment très grand, et les quelques indications en ma possession se sont révélées stériles.
Je rédige donc un article fort incomplet, mais je sais bien qu’il finira par l’être, soit parce que j’y retournerais, soit parce qu’un internaute complétera le travail. Le peu que j’ai arpenté me laisse penser que ce cimetière est d’une extrême richesse, dans tous les domaines.
Curiosités
La dimension militaire est fondamentale dans ce cimetière, particulièrement dans les terrasses à l’entrée. Plusieurs cimetières militaires se chevauchent, reflet de plusieurs conflits et de plusieurs communautés : il en est ainsi du cimetière des tirailleurs sénégalais, ornée d’une statue en bronze.
Pourtant, plus que la guerre, la grande faucheuse a ici pour nom tuberculose : les dalles blanches qui s’alignent témoignent, tout comme au Vieux château, des ravages de cette maladie il n’y a encore pas si longtemps.
Célébrités : les incontournables...
Aucune, bien qu’Aubrey Beardsley, Steeman et G.Bruno ne soient pas des inconnus !
Deux personnalités furent inhumées ici avant leur transfert :le réalisateur René CLÉMENT (1913-1996), finalement inhumé dans sa propriété de Saint-Pée-sur-Nivelle (64) [1] et l’écrivain espagnol Vicente BLASCO-IBANEZ (1867-1928), transféré en 1933 au cimetière de Valence, en Espagne.
- Première tombe de René Clément au cimetière de Menton.
... mais aussi
La réalisatrice arménienne Melvie ARSLANIAN MIHAUD (1953-1998), dont la tombe reproduit le titre de son plus grand succès : Au dessus des vagues.
Aubrey BEARDSLEY (1872-1898) : mort à 25 ans de la tuberculose !
Quel talent pourtant... Illustrateur britannique, souvent associé au mouvement Art nouveau, sa carrière en tant qu’artiste débuta à la suite de sa rencontre avec le peintre préraphaélite Edward Burne-Jones, qui l’orienta vers la Westminster School of Art où Beardsley suivit l’enseignement du professeur Frederick Brown. Contemporain d’Oscar Wilde,
il réalisa pour ce dernier des dessins pour sa pièce Salomé. Le succès fut à la hauteur du scandale.
Dandy et moderniste, Aubrey devint célèbre pour avoir fondé un magazine innovant, The Yellow Book. Beardsley était aussi auteur. Il laisse derrière lui de nombreux poèmes et un roman baroque et érotique, L’histoire de Vénus et Tannhauser : Sous la Colline, librement inspiré d’un opéra de Wagner dont il appréciait particulièrement la musique. Aubrey Beardsley reste connu pour ses illustrations stylisées et sinueuses en noir et blanc où l’on perçoit l’influence de l’art japonais et de l’art rococo. Son art, jugé grotesque et décadent par la bonne société de son époque, a plus tard été vu comme une critique de l’hypocrisie de la société victorienne.
Plusieurs sources, dont Bertrand Beyern, une fois n’est pas coutume, indique que sa tombe a disparu au cimetière du Vieux château : la réalité est qu’elle est bien présente, mais dans ce cimetière du Trabuquet.
Le sculpteur russe Léopold-Bernard BERNSTAMM (1859-1939), qui après un passage en Italie s’installa en France en 1885. Il accéda à la célébrité au début des années 1880 en exécutant quelque 300 portraits de personnalités russes et françaises : sa rapidité d’exécution et son sens de la physionomie l’ont amené à collaborer comme sculpteur au musée Grévin pour lequel il a modelé des effigies de nombreux mannequins de cire. Avec lui repose son fils, Serge BERNSTAMM (1894-1980), chroniqueur littéraire de divers journaux et revues artistiques.
Franck BIANCHERI (1961-2012) : politologue, il fut l’un des pères du programme d’échange d’étudiants ERASMUS. Il fut le directeur des études du Laboratoire européen d’anticipation politique (Leap/Europe2020) et a présidé le parti politique européen Newropeans.
Le Compagnon de la Libération Robert BINEAU (1914-2011), qui participa aux campagnes du Tchad, de Libye et de Tunisie avant la reprise de l’Italie puis le débarquement en Provence et la remontée sur Strasbourg.
Le philosophe Alfred FOUILLÉE (1838-1912), spécialiste de Platon qui fut maître de conférence à l’ENS. Avec lui repose son épouse, qui sous le pseudonyme de G.BRUNO (Augustine Tuilerie : 1833-1923), fut l’auteure de plusieurs manuels de lecture, dont le plus célèbre, en 1877, fut le Tour de la France par deux enfants, dans lequel les 121 chapitres exposent toutes les activités du pays, agricoles, industrielles, artisanales ou commerciales, évoquant les grands hommes et les faits glorieux de l’Histoire de France, et distillant une morale républicaine qui prône le travail, l’épargne et la discipline sociale. Dans le même tombeau repose son fils d’un premier lit, le philosophe et poète Jean-Marie GUYAU (1854-1888), considéré comme le « Nietzsche français » [2]. Il fut également auteur de manuels scolaires. Malade, il alla s’installer à Menton.
Le peintre Ambroise GIOAN (1926), qui fut également professeur.
Cyril HARCOURT (Cyril Perkins : 1871-1924) : dramaturge américain, il fut l’auteur de plusieurs pièces jouées à Broadway (A place in the sun, A Pair of Petticoats...).
Pierre LÉPINE (1901-1989) : médecin et biologiste, il fut chef du service des virus à l’Institut Pasteur de Paris de 1940 à 1971. Il mena de nombreux travaux sur les virus, découvrit et mit au point en 1957 un vaccin contre la poliomyélite. Il fut membre de nombreuses académies, dont celle des sciences, de médecine, de pharmacie ou encore de chirurgie.
Ernest LESSIEUX (1848-1925), peintre et dessinateur.
Georges « Manzana » PISSARRO (1871-1961) : deuxième fils de Camille Pissarro, il partagea avec son père et ses frères sa passion pour la peinture néo-impressionniste et les convictions anarchistes. A partir de 1903, il exposa au Salon des Indépendants. Sa peinture évolua ensuite vers l’orientalisme, et il s’intéressa à d’autres moyens d’expression comme la gravure, la conception de meubles ou d’objet décoratifs. En 1914 eut lieu l’exposition la plus importante de sa carrière au Musée des Arts Décoratifs. En 1939, il se réfugia à Casablanca où il resta jusqu’en 1947, puis il se fixa à Menton.
Stanislas André STEEMAN (1908-1970) : auteur et illustrateur belge d’expression française, il se révéla d’abord dans plusieurs dizaines de bandes dessinées avant 1920. Il est surtout connu en tant qu’auteur de romans policiers, dont plusieurs furent adaptés à l’écran, comme L’assassin habite au 21, publié en 1939 et transcrit pour le cinéma par Henri-Georges Clouzot, ou encore Légitime Défense, devenu au cinéma Quai des Orfèvres. Ses romans furent principalement publiés dans la collection Le Masque, dont le logo est reproduit sur sa tombe.
Photo Guyau : http://jmguyau.free.fr/
Merci à Michel Schreiber pour la tombe Fouillée et à Simon Tiron pour la tombe Pissaro.
[1] Merci Ghislain
[2] Son œuvre majeure, Esquisse d’une morale sans obligation ni sanction, profondément novatrice, semble avoir beaucoup impressionné (et sans doute influencé) Nietzsche.
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