GOLDMAN Pierre (1944-1979)
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Le 27 septembre 1979, près de 15.000 personnes remontent silencieusement le quai de la Rapée, à Paris, en direction du cimetière du Père-Lachaise. Dans la foule, des anonymes, mais également de très nombreuses figures de l’époque. Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir, Yves Montand et Simone Signoret, Costa-Gavras… Tous sont venus rendre un dernier hommage à Pierre Goldman, demi-frère de Jean-Jacques, alors inconnu du grand public. Le militant d’extrême gauche, condamné pour des braquages mais acquitté au prix d’une longue bataille judiciaire pour un double meurtre, a été assassiné au cœur du 13e arrondissement de Paris, touché par trois balles tirées à bout portant.
Décembre 1969. Le 19 au soir, il est un peu plus de 20h30 lorsqu’un homme fait irruption dans une pharmacie du boulevard Richard-Lenoir, dans le 11e arrondissement de Paris. En un fragment de seconde, le malfrat abat la propriétaire de l’officine et la préparatrice, Simone Delaunay [1] et Jeanne Aubert, sous les yeux incrédules d’un client. Un policier qui se trouvait à proximité tente d’intervenir. L’homme tire à nouveau, le blesse d’une balle dans le ventre, puis prend la fuite. Pendant quelques semaines, l’enquête patine, mais une dénonciation anonyme évoque un certain Pierre Goldman. Selon cet indic, le jeune homme, alors âgé de 26 ans, est l’auteur de quatre braquages dans le quartier au mois de décembre 1969. Dont celui de la pharmacie.
Pierre Goldman est inconnu de la justice. Ce fils de juifs polonais - figures de la Résistance pendant la Seconde Guerre mondiale - évolue dans les milieux militants d’extrême gauche. A la fin des années 1960, il s’est rendu à Cuba ou au Venezuela, flirtant avec les guérillas locales. A son retour, il s’est enfoncé dans l’illégalité, recherché pour ne pas avoir fait ses trois jours à l’armée. Pierre Goldman est interpellé en avril 1970, dans le quartier de l’Odéon. Il reconnaît sans difficulté trois des quatre braquages mais nie fermement être l’auteur de celui de la pharmacie de la rue Richard-Lenoir.
Le procès s’ouvre à Paris en 1974. Pierre Goldman se défend seul. Les témoins se succèdent et malgré de nombreuses incohérences dans leurs récits, l’accusé est condamné à la réclusion criminelle à perpétuité. Dans le public comme sur les bancs de la presse, un sentiment, pourtant, prédomine : celui que le doute n’a pas profité à l’accusé. Dans Souvenirs obscurs d’un juif polonais né en France, le condamné crie, depuis sa cellule, son innocence. L’ouvrage connaît un succès immense et peu à peu, un comité de soutien emmené par Sartre, Simone de Beauvoir, Yves Montand…, se forme. Maxime Le Forestier compose même pour lui La vie d’un homme, en 1975. Goldman se tourne vers la cour de Cassation qui – fait rarissime – annule le procès en 1975. Le motif est inédit : le procès-verbal des débats n’a pas été signé. Retour à la case départ. Un nouveau procès doit donc se tenir, et la législation veut que le mis en cause soit jugé par une autre cour. Ce sera donc Amiens.
La ligne de défense est la même que lors du premier procès : démontrer que l’enquête a été biaisée et que l’accusé faisait un coupable idéal. Cette fois, Pierre Goldman s’entoure d’un trio d’avocats dont le ténor Georges Kiejman. Si ses avocats se gardent bien de politiser le procès, lui n’a de cesse de répéter qu’il est victime de l’antisémitisme de la police. Georges Kiejman peine parfois à cacher son agacement lors des tirades de son client. Mais le résultat est là. Après un délibéré relativement court, le militant est acquitté. Il fut néanmoins condamné pour les trois autres braquages. Entre les remises de peine et la bonne conduite, il sort six mois après le verdict.
Le meurtre des deux pharmaciennes n’a jamais été résolu. En 1977, alors que l’affaire est désormais derrière lui, Pierre Goldman publie un court roman qui remet le feu aux poudres. Dans L’ordinaire mésaventure d’Archibald Rapoport, le héros - un juif faisant des études de philosophie (comme lui) - exécute quatre policiers, deux magistrats et un avocat, dont le portrait fait penser à Georges Kiejman. « Il s’en faut de peu pour qu’il ne se vante d’avoir commis ce pour quoi il a été acquitté », déplora le chroniqueur judiciaire du Monde.
L’enquête sur l’assassinat de Pierre Goldman n’a pas abouti. Celui-ci a été revendiqué par un groupe se surnommant « Honneur de la police » mais Georges Kiejman, décédé en mai dernier, a toujours affirmé n’avoir jamais cru à la thèse d’une vengeance policière.
Quarante-quatre ans jour pour jour après son enterrement, en septembre 2023, sortit en salles Le Procès Goldman, du réalisateur Cédric Kahn. Le film n’est pas un biopic mais revient sur la personnalité de l’activiste à travers son deuxième procès, celui qui l’a rendu célèbre.
Source : 20mns
[1] Elle repose dans la 88ème division du Père Lachaise.
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