L’Affiche rouge

vendredi 24 avril 2020
par  Philippe Landru

L’Affiche rouge est une affiche de propagande allemande placardée massivement en France sous l’Occupation, dans le contexte de la condamnation à mort de 23 membres des Francs-Tireurs et Partisans – Main-d’Œuvre Immigrée (FTP-MOI), résistants de la région parisienne, suivie de leur exécution, le 21 février 1944.

Cet article se sert essentiellement de l’article Wikipédia qui lui est consacré. Il bénéficie du travail de fond mené par Marie-Christine Penin sur la dernière demeure des 23 fusillés du groupe Manouchian.


Description de l’affiche


L’affiche comprend :
- une phrase d’accroche  : « Des libérateurs ? La Libération par l’armée du crime ! » ;
- les photos, les noms et les actions menées par dix résistants du groupe Manouchian. Pas n’importe lesquels : ceux à consonnance étrangère, les juifs, les communistes... Une volonté évidente en ces temps de propagande de dénoncer le péril « judéo-bolchévique-apatride » ! Il est ainsi révélateur que Cloarec et Rouxel n’y apparaissent pas ;

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Tract reprenant au recto LʼAffiche rouge et dénonçant au verso «  Le complot de lʼAnti-France »


- six photos d’attentats ou de destructions, représentant des actions qui leur sont reprochées. Les deux premières photos, à gauche, en-dessous du V de l’affiche représentent deux corps, un torse nu criblé de balles, et un homme abattu, en gabardine, gisant près de son chapeau. Les deux corps ont été identifiés comme étant respectivement ceux du commissaire Franck Martineau abattu le 15 juillet 1943 et du commissaire Georges Gautier, abattu le 12 novembre 1943.

Cette affiche a été créée par le service de propagande allemande en France. La mise en page marque une volonté d’assimiler ces dix résistants à des terroristes : la couleur rouge et le triangle formé par les portraits apportent de l’agressivité ; les six photos en bas, pointées par le triangle, soulignent leurs aspects criminels. L’affiche sert à la propagande nazie qui vise à déstabiliser la Résistance française en jouant les cartes traditionnelles de l’antibolchevisme et de la xénophobie pour influencer l’opinion publique. Si l’on en croit les rapports des Renseignements généraux, l’affiche eut sur la population un effet contraire à celui cherché par les Allemands : les passants manifestèrent souvent des réactions de sympathie vis-à-vis des résistants dont la photo avait été reproduite sur l’affiche, et par ailleurs, les articles de soutien furent nombreux dans la presse clandestine.


Le groupe Manouchian


L’Arménien Missak MANOUCHIAN (1906-1944) s’était réfugié en France après le génocide arménien. Ouvrier pour vivre, il était en réalité poète et fut à l’origine de plusieurs revues littéraires. Devenu militant communiste (1934), il forma durant la Seconde Guerre mondiale un réseau de résistance très actif FTP-MOI – le groupe Manouchian – où opérèrent notamment Polonais, Hongrois, Arméniens et Italiens, la plupart de confession juive. De juillet à octobre 1943, le groupe Manouchian mit en œuvre près de 70 attentats, dont l’assassinat, en septembre, de Julius Ritter, le délégué pour la France de Fritz Sauckel, nommé par Hitler « plénipotentiaire au recrutement et à l’emploi de la main-d’œuvre ». Dans des circonstances encore discutées, Manouchian fut arrêté en novembre 1943 et le réseau démantelé : en février 1944 s’ouvrit le procès des 23 membres du groupe, à grand renfort de propagande, dont la fameuse affiche.


Ce que devinrent les dépouilles des 23 du groupe Manouchian


Le 23 février 1944, Manouchian fut fusillé avec ses compagnons.

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Cliché authentique de l’exécution du groupe Manouchian.

Bien des années plus tard (en 1989, et non 1990 comme il est écrit sur la tombe !), il fut rejoint par sa compagne, Mélinée Manouchian (1913-1989).

Le 21 février 2024, 80 ans après la mort des membres de l’affiche rouge, Missak et Mélinée Manouchian (et avec eux symboliquement les autres membres du groupe) entrèrent au Panthéon à la demande d’Emmanuel Macron, au cours d’une cérémonie solennelle. Ils furent installés dans le caveau n°13. Sur la plaque figure les nom des 23 membres de l’Affiche rouge.

Un monument commémore leur mémoire depuis 1978 : il représente leur nom à tous sous un buste de Manouchian. Il est l’oeuvre du sculpteur arménien Ara Haroutiounian.

Les corps furent en un premier temps déposés dans des fosses individuelles du cimetière parisien d’Ivry. Par la suite, neuf corps furent transférés ailleurs par leurs familles.

- 12 corps se trouvent toujours dans l’alignement collectif des tombes du groupe : le juif hongrois Joseph Boczov (38 ans), le Hongrois Thomas Elek (18 ans), le Polonais Maurice Fingercwajg (19 ans), le juif polonais Jonas Geduldig (26 ans), le juif hongrois Emeric Glasz (42 ans), le juif polonais Léon Goldberg (19 ans), le Polonais Stanislas Kubacki (36 ans), l’Arménien Armenac Manoukian (Arpen Tavitian, 44 ans), le juif polonais Marcel Rajman (21 ans), l’Italien Antoine Salvadori (24 ans), le juif polonais Willy Schapiro (29 ans) et le juif polonais Wolf Wajsbrot (18 ans).

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Tombes individuelles du groupe Manouchian
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Marie-Christine Penin dans ses oeuvres...
Conférence sur le site des tombes du groupe Manouchian.

- Olga Bancik (juive et roumaine de 32 ans), unique femme du groupe, mourut deux mois et demi plus tard décapitée à Stuttgart. Sa mémoire est néanmoins évoquée par une plaque sur le mur, à l’arrière des tombes de ses camarades.

Il est à noté que certains membres du groupe Manouchian réussirent à ne pas se faire arrêter. Le dernier survivant du groupe, Arsène Tchakarian, décédé en 2018, se fit inhumer auprès de ses camarades de jeunesse.

- L’Espagnol Celestino Alfonso (27 ans) fut transféré au cimetière communal d’Ivry (94).
- Georges Cloarec (20 ans) fut transféré au cimetière de Vernancourt (51)
- L’Italien Rino Della Negra (19 ans), footballeur du Red Star Olympique, fut transféré au cimetière d’Argenteuil (95).
- L’Italien Spartaco Fontano (22 ans) fut transféré au cimetière ancien de Nanterre (92).
- Le juif polonais Szlama Grzywacz (34 ans) fut transféré au Père Lachaise dans un tombeau collectif (97ème division).
- L’Italien Cesare Luccarini (22 ans) fut transféré au cimetière de Pont-à-Vendin (62).
- L’Italien Amédéo Usséglio (32 ans) fut transféré au carré militaire du Plessis-Robinson (92).
- Roger Rouxel (18 ans) fut transféré au cimetière de Vitry-sur-Seine (94).
- Robert Witchitz (19 ans), prit pour un juif par les Allemands, ce qu’il n’était pas, fut transféré dans le caveau familial dans ce même cimetière.


Postérité


Le Journal officiel du 13 juillet 1947 rendit public un décret attribuant la Médaille de la résistance à titre posthume à Olga Bancic, Joseph Boczov, Georges Gloarek (sic), Thomas Elex (sic), Roger Rouxel, Antoine Salvadori, Salomon-Wolf Schapira (sic), Wolf Wajsbrot, Robert Witschitz, Amédéo Usseglio et Rino Della Negra.

Le 6 mars 1955, une rue du populaire XXe arrondissement de Paris prit le nom du réseau. Louis Aragon publia en Une de L’Humanité son poème Strophes pour se souvenir, éloge littéraire du groupe Manouchian que Léo Ferré et Bernard Lavilliers, notamment, immortalisèrent en musique.

Ils étaient vingt et trois quand les fusils fleurirent
Vingt et trois qui donnaient leur cœur avant le temps
Vingt et trois étrangers et nos frères pourtant
Vingt et trois amoureux de vivre à en mourir
Vingt et trois qui criaient la France en s’abattant.

Très vite pourtant, l’Affiche rouge fut passée sous silence : tandis que le résistancialisme gaullien visait à modérer l’importance des communistes dans la Résistance, et à mettre l’accent sur l’identité française de celle-ci plutôt que sur l’apport des étrangers ; l’irruption de la Guerre froide qui conduisit à une répression anticommuniste visa au premier chef les organisations et les militants étrangers. A cette époque, à la propagande de droite visant à sous-estimer, voire à compromettre la participation des communistes à la Résistance, répondit la propagande communiste et la surexploitation du groupe Manouchian.

Par la suite, plusieurs romans ou films (dont L’Armée du crime de Robert Guédiguian en 2009) remirent le groupe Manouchian à l’honneur.

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Entre la tombe de Waldeck-Rochet et le caveau du PCF se trouve le cénotaphe des FTP MOI inauguré le 20 mai 1989 près du Mur des Fédérés, au Père Lachaise, par Georges Marchais, secrétaire du PCF, et Mélinée Manouchian entourée de la direction du parti.

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