Les DEBRÉ : une dynastie entre Paris et Touraine
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Entre Paris et la Touraine, voyage dans plusieurs cimetières pour pister une dynastie qui marqua la France : les Debré.
- Michel Debré et ses quatre fils. De g. à d. : Bernard, chirurgien urologue et député UMP, François, journaliste et écrivain, Jean-Louis, magistrat et ancien ministre, président du Conseil constitutionnel, et Vincent, administrateur de société.
Père Lachaise : Simon, le patriarche
Tout commence avec Simon DEBRÉ (1854-1939), issu d’une famille juive alsacienne venue de Bavière. Rabbin de Sedan de 1880 à 1888, il devint en 1888 le premier rabbin nommé à Neuilly-sur-Seine, la synagogue ayant été construite peu de temps auparavant. Il fut également aumônier du lycée Janson-de-Sailly. Il fut enfin l’auteur d’un livre sur l’humour judéo-alsacien.
Il repose avec son épouse Mariane Trenel dans la 96ème division du Père Lachaise. Avec eux repose leur fils, l’architecte Germain DEBRÉ (1890-1948). Auteur, en 1924, de la première école de plein air en France, à Saint-Quentin (Aisne), il renouvela l’architecture religieuse israélite en réalisant plusieurs synagogues à Paris et en banlieue. Par l’intermédiaire du baron Edmond de Rothschild, il réalisa l’une de ses œuvres principales, l’Institut de biologie physico-chimique, rue Pierre-et-Marie-Curie, Paris 5e (1927). En tant qu’architecte des bâtiments publics et palais nationaux, il réhabilita plusieurs établissements scolaires, et travailla au théâtre de l’Odéon (1934-1946). Il fut également l’auteur de la Maison des étudiants suédois à la Cité universitaire. Attaché au milieu scientifique, Debré réalise des laboratoires pour le CNRS et participa, aux côtés de Maurice Boutterin et d’Armant Néret, à l’aménagement du Palais de la Découverte pour l’Exposition internationale de 1937. Plus tard, il fut architecte du Commissariat à l’énergie atomique (CEA). Si le style de certaines œuvres de Germain Debré est contraint par le goût de ses commanditaires, il fut, dans l’ensemble, largement dominé par le modernisme international, avec une préférence marquée pour l’architecture néerlandaise ou allemande des années 1920.
Signalons encore au cimetière d’Autouillet (78) la présence d’un autre fils de Simon, Jacques DEBRÉ (1885-1969). Dans ce même cimetière repose la famille Schwartz, dont le mathématicien Laurent (+2002) et le médecin Daniel SCHWARTZ (+2009), fils de Claire Debré, elle-même fille de Simon. [1]
- Tombe Debré-Schwartz du cimetière d’Autouillet
Vernou-sur-Brenne : Robert, le médecin
C’est au milieu des vignobles, dans le petit cimetière de Vernou-sur-Brenne (37), que se trouve la sépulture de l’autre fils de Simon, le pédiatre Robert DEBRÉ (1882-1978).
Souvent considéré comme le père de la pédiatrie française moderne, son oeuvre médicale très riche couvrit plusieurs domaines : maladies infectieuses, maladies de l’enfance et pédiatrie sociale. Il fut associé à la découverte et à la description de nombreuses maladies des enfants : méningite cérébro-spinale, rougeole, rhumatisme articulaire aigu, polyomélite... En 1949, il créa, avec la participation de l’OMS, le Centre international de l’enfance. Il fut associé au renouveau et à l’essor de l’Institut national d’hygiène (futur INSERM) dont il fut le président de 1946 à 1964, et à la création des Centres hospitaliers universitaires (CHU) avec la réforme hospitalo-universitaire en 1958. Membre de l’Académie des sciences en 1961, il était en outre membre de l’Académie nationale de médecine. Un hôpital dans le 19e arrondissement de Paris porte son nom, ainsi que le CHU de Reims et l’hôpital d’Amboise (Indre-et-Loire). Il repose avec sa seconde épouse, Élisabeth de La Panouse, descendante des De Wendel.
Nazelles-Négron : Olivier, l’artiste
Robert s’était marié en première noce avec Jeanne DEBAT-PONSAN (1879-1929). Fille du peintre Edouard Debat-Ponsan (qui repose au cimetière de Passy), c’est-elle qui avait fait connaître la Touraine à la famille Debré : elle hérita de son père du château de Nazelles, où toute la famille vécut. Elle fut inhumée au cimetière de Nazelles-Négron (37). Sa stèle donne plusieurs indications : elle rend tout d’abord hommage « à la mémoire du peintre Edouard Bernard Debat-Ponsan (1847-1913), Prix de Rome qui habita le château de Nazelles de 1900 à 1913 ». Elle signale ensuite la présence de Jeanne, « première femme interne des hôpitaux de Paris ». Auprès d’elle repose sa sœur, Simone Debat-Ponsan (1886-1986), qui fut la seconde épouse du sénateur André Morizet (qui repose dans le même tombeau qu’Edouard Debat-Ponsan à Passy !). C’est enfin dans ce même tombeau de Nazelles que repose le second fils de Robert Debré et de Jeanne Debat-Ponsan, le peintre et illustrateur Olivier DEBRÉ (1920-1999).
Ancien élève de Le Corbusier, considéré comme un des représentants majeurs de l’abstraction, au même titre que Hartung, Poliakov,
Soulages et de Staël, il pratiqua aussi bien le dessin que la gravure, l’art monumental et l’architecture. Mais c’est la peinture qui eut la place de choix, impressionniste d’abord, expressionniste ensuite. Ses œuvres de grand format firent leur apparition à partir de 1965 : hall d’entrée du pavillon français de l’exposition internationale de Montréal de 1967, rideau de scène de la Comédie Française (1987), de l’opéra de Hong Kong (1989), de l’opéra de Shanghai (1998). Il fut en outre un illustrateur, un auteur d’ouvrages sur l’art, un décorateur pour l’opéra (Signes, de René Aubry). On le chercherait volontiers dans un cimetière parisien, mais c’est bien dans ce petit cimetière rural qu’il repose.
Amboise : Michel, le constitutionnaliste
Fils aîné de Robert et de Jeanne Debat-Ponsan, Michel DEBRÉ (1912-1996) est le plus fameux de la dynastie.
Garde des Sceaux dans le cabinet de de Gaulle, puis Premier Premier ministre de la Ve République de 1959 à 1962, Michel Debré a joué un rôle fondamental dans la rédaction de la Constitution de 1958. Durant son mandat à Matignon, il participa au redressement économique de la France et au règlement de la guerre d’Algérie. Il fut également à l’origine de la naissance du Centre national d’études spatiales et de la réforme de l’administration de la Justice. Député réunionnais pendant vingt-cinq ans, sénateur d’Indre-et-Loire de 1948 à 1958, il cumula les mandats de maire d’Amboise et de conseiller général d’Indre-et-Loire. L’année 1966 marqua son grand retour dans le gouvernement de de Gaulle. Jusqu’en 1973, il fut à la tête de plusieurs ministères. Candidat à l’élection présidentielle de 1981, il ne recueillit que 1,66 % des voix. En 1973, ce gaulliste convaincu quitta définitivement le gouvernement et se consacra à la lutte contre l’inflation et la supranationalité européenne comme le montra son opposition virulente à la Communauté européenne de défense (CED). Son combat pour la présence française en Algérie lui valut une image de souverainiste. Il fut élu en 1988 à ’Académie française.
Il fut enterré dans la partie moderne du cimetière d’Amboise dont il avait été maire de 1966 à 1989. Il repose avec son épouse, Anne-Marie Lemaresquier (1912-2001), fille de l’architecte Charles Lemaresquier (qui repose à Sète). Dans ce tombeau se trouve également Maylis Ybarnegaray-Debré (1942-1988), l’épouse de François Debré, fils de Michel. L’épitaphe assez longue de ce tombeau précise le lieu d’inhumation de son père et de sa mère ! En septembre 2020, le journaliste et écrivain François DEBRÉ (1942-2020), lauréat du prix Albert-Londres en 1977, les y a rejoints.
Paris : et après ?
Les quatre fils de Michel Debré sont encore vivants : ils ne concernent donc pas stricto-censu cet article… encore que !
l’urologue Bernard DEBRÉ (1944-2020), qui fut maire d’Amboise, mais également député d’Indre-et-Loire (1986-1994), puis de Paris (2004-2017), et un éphémère ministre de Coopération entre 1994 et 1995, avait déclaré qu’il avait une concession au cimetière Montparnasse, près de la tombe de Jean-Paul Sartre. En réalité, il fut inhumé au cimetière de Préfailles (44) où la famille possédait une résidence secondaire.
Son frère et faux jumeau Jean-Louis DEBRÉ, ancien président de
l’Assemblée nationale et actuel président du Conseil constitutionnel, sera sans doute inhumé auprès de son épouse, Anne-Marie (1945-2007), dont la sépulture se trouve en bordure de la 3ème division du cimetière Montparnasse.
De Paris à Paris, en passant par la Touraine : la boucle est bouclée.
[1] Claire Debré (1888-1972) avait épousé Anselme Schwartz (1872-1957), chirurgien et membre de l’Académie des sciences, lui-même fils de Pauline Debré, sœur de Simon. Les Schwartz étaient donc des Debré par leur deux parents. J’ignore pour l’instant où repose ce couple.
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