Le bruit de l’époque

jeudi 7 décembre 2017
par  Philippe Landru

Garder le calme devant la dissonance (Claude Sautet)

Depuis quelques jours, la sphère médiatique bruisse de l’une de ses curiosités nécrologiques préférées : la mort quasiment simultanée de deux notoriétés populaires, chacune à leur manière.

Les réseaux sociaux gonflent le phénomène, ironisant sur un match qui a déjà eu lieu il y de cela désormais 54 ans : le double décès Piaf-Cocteau.

Bien sur, il y a des parallèles : d’un coté deux académiciens français de salon, de l’autre deux interprètes (mais ni auteurs, ni compositeurs de l’essentiel de leur œuvre) de chansons populaires. Là s’arrêtera néanmoins la ressemblance, car les époques ne sont pas les mêmes.

On l’oublie évidemment, mais si Piaf n’eut pas d’obsèques nationales, c’est parce que le poids de l’Eglise était encore fort à l’époque, et la vie considérée dissolue de la môme lui fermait absolument cette perspective. Notre époque, moins exigeante dans ce domaine, fait dire sous le coup de l’émotion tout et n’importe quoi. Pensez : les micros-trottoirs en permanence devant la villa Hallyday de la très huppée Marnes-la-Coquette demandent à des fans éplorés, et pour certains totalement désorientés, s’ils désirent pour l’objet de leur dévotion un hommage national ! Le Panthéon clament certains, pas avares pour un sou ! Pour d’Ormesson, forcément, on reste entre gens du monde et les hommages sont moins tonitruants. L’hommage national (qui n’est pas synonymes d’obsèques nationales) aux Invalides semble faire consensus, même si d’aucuns s’étonnent d’un tel lieu, généralement dévolu aux militaires, pour le très pacifiste d’Ormesson. Le précédent récent de Simone Veil, pour ne pas remonter plus loin, atteste que cela se fait.

Hallyday et d’Ormesson, tout comme en leur temps Piaf et Cocteau, sont des produits de leurs époques : pour les deux plus anciens, morts en 63, c’étaient bien les années 30 et 40 et leur cortège d’ambiguïtés d’une époque trouble. Hallyday et d’Ormesson sont des idoles des baby-boomers, ceux qui naquirent pendant où juste après la guerre. Que l’on songe à la proximité des dates : en 1956 paraissait l’Amour est un plaisir, premier roman d’un certain Jean d’Ormesson. Trois ans plus tard sortait T’aimer follement, le premier 45tours de Hallyday (l’époque était donc à l’amour : autre parallèle facétieux !).

Cocteau et Piaf furent des artistes « à l’ancienne ». Piaf parvint à incarner la France, utilisant les médias de son époque, la radio et le microsillon. Hallyday fit de même, mais dans une société de l’image, ce furent davantage la télévision et les concerts qui affermirent sa position. Hallyday, n’en déplaise à ces fans, n’incarne pas la France, mais le rock français, ce qui n’est déjà pas si mal… Concernant la France, les fans de Hallyday, pas rancuniers pour un sou, sont prêts à oublier l’exilé fiscal suisse, considération qui lui vaut peut-être de passer à coté des obsèques nationales. Signe des temps aussi : en 63, c’étaient les coucheries de Piaf avec des hommes mariés qui faisaient désordre ; en 2017, ce sont les libertés avec le fric. Dans les deux cas, ce n’était pas illégal, mais considéré comme peu moral.

Reste ce qu’il demeurera d’eux d’un point de vue taphophilique (ce qui signifie que cette chronique n’aborde évidemment pas le talent, réel ou supposé, de ces illustres défunts).

De d’Ormesson, qui ne fut jamais Chateaubriand (la formule est de lui), il ne restera pas grand-chose : c’est le prix à payer quand on est intimement associé à son époque. Ce qui fit son succès, bien plus que son œuvre, fut sa truculence qui séduisit un public large. Il fut, comme on dit, un « bon client » pour les médias. Son indéniable verve, ajouté à cet air malicieux qui le fit apprécier bien au-delà de son camp, font qu’il dispose aujourd’hui d’un fort capital sympathie. Dans 20 ans, dans une société culturelle de zappeurs, il n’en restera rien. Oubliée la truculence et la malice… Nous autres taphophiles savons bien que s’il est un domaine peu porteur pour la postérité, ce sont bien les lettres : qui se souvient –et lit encore- Paul Margueritte, Anatole France ou Henri Bordeaux qui furent d’immenses succès de librairie en leurs temps ? Pour durer, son œuvre devrait devenir scolaire, c’est-à-dire enseignée dans les lycées, et il est peu probable qu’elle le devienne… Ormesson deviendra ce que la quasi-totalité des autres immortels sont devenus : des références savantes anciennes et oubliées. Et même quand elle devient scolaire, la littérature ne paye pas au point de vue taphophile : ils ne sont pas si nombreux à aller visiter Zola dans son obscur caveau du Panthéon !

Quant à Hallyday, qui ne fut jamais Elvis, la problématique est différente. Ces dernières heures, les chroniques laudatives et lacrymales veulent nous faire croire qu’il durera à travers son œuvre, qu’il transcende les générations et les milieux… Formules que tout cela, d’une société qui ne veut pas faire le deuil de sa jeunesse ! Hallyday (qui partage avec d’Ormesson la couleur des yeux : Plus bleu que le bleu de tes yeux, Je ne vois rien de mieux chantait… Edith Piaf… Tiens donc !) durera tant que ses fans dureront (beaucoup ont désormais peu ou prou le même âge que lui) ; ces baby-boomers qui ne peuvent accepter que les Trente Glorieuses sont derrière nous, cette génération des flippers et des copains, des yéyés et des DS, des De Gaulle et des cocos… Mais cette génération s’en va elle aussi, doucement… Bien sur, on pourra toujours me trouver un gamin de 15 ans qui par mimétisme parental adore Johnny, mais ils ne sont pas légions. Les jeunes d’aujourd’hui n’écoutent pas Johnny (et pas beaucoup Piaf non plus, mais ils reviendront sans doute plus rapidement à elle).

Tout cela n’est finalement que grande banalité. A un détail près : Hallyday, contrairement à Piaf, fut divinisé par ses fans de la première heure qui eurent deux caractéristiques qui joueront dans la pérennité relative de son souvenir : ils furent nombreux (baby-boom oblige) et surtout, pour la première fois dans l’histoire de France, furent nombreux à disposer d’un pouvoir d’achat qui leur permit d’acheter les disques de leur vedette, sacré graal de l’époque. Cette surmédiatisation, symptomatique de notre époque, doit être prise pour ce qu’elle est finalement : une émotion populaire qui s’inscrit dans un temps donné.

Concernant la taphophilie, nous nous permettrons donc un dernier parallèle : celui de Brel et de Hallyday. Dans les deux cas, deux « Belges » ayant fait l’essentiel de leur carrière en France, qui, a priori à l’heure où ces lignes sont écrites, reposeront définitivement dans les confins de l’empire français : les Marquises pour l’un, Saint-Barthélémy pour l’autre. Une destination bien peu accessible pour des fans souvent d’origines populaires qui auront bien du mal à aller se recueillir sur la dépouille de leur dieu (mais on va bien entendu encore nous rabâcher que Hallyday était resté très simple et que sa vie était dévolue à ses fans ! ).

Qu’on se rassure néanmoins : il y aura encore dans un siècle des taphophiles pour aller les débusquer et tenter, la plupart des fois assez vainement, d’essayer de rappeler à quel point ils furent des pointures de leur époque.

Rendez-vous, sans doute avec quelqu’un d’autre, dans quelques décennies pour une chronique sur la mort simultanée de l’académicien français Edouard Louis et d’Orelsan !...


Commentaires

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Le bruit de l’époque
jeudi 7 décembre 2017 à 22h45 - par  franck

excellent billet
l avantage d etre taphophile est d avoir certaines notions de la posterité
qui se souvient de talma ou de mayol qui etaient des delon et Halliday de l epoque
et aujoud hui oublies du grand public ...........

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Le bruit de l’époque
jeudi 7 décembre 2017 à 22h16 - par  Dany

M’sieur Landru, le baby boomer que je suis, partage votre avis. L’engouement (légitime) mais amplifié par les médias nocifs tel un ballon de baudruche retombera avec la disparition de ces fans, mais ça va prendre un certain temps. La Piaf a crée des chef-d’œuvres rémanents ce qui explique qu’elle est toujours ’là’. Je doute pour notre Johnny, qu’il repose en paix. Et encore bravo pour la qualité de votre site remarquablement tenu. Dany

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Le bruit de l’époque
jeudi 7 décembre 2017 à 22h14 - par  Jean-Luc Sabatier

Si Brel était Belge Johnny était de nationalité Française. Son père était Belge mais lui n’a jamais obtenu, malgré ses demandes, cette nationalité :

Cette filiation frustrée a été au cœur d’un feuilleton hyper-médiatisé en 2006 et 2007, lorsque Johnny a décidé de demander la nationalité belge pour « raisons sentimentales ». Mais en pleine campagne électorale française, le chanteur, qui avait affiché un soutien appuyé au candidat de droite Nicolas Sarkozy, a été accusé de vouloir par ce biais échapper au fisc français. Pour ne rien arranger, l’affaire se corse rapidement outre-Quiévrain : faute d’avoir sa résidence principale en Belgique, Johnny doit prouver des « attaches véritables avec la Belgique ». Son cas litigieux sera tranché au plus haut niveau, par la Commission des naturalisations du Parlement belge.

Après 21 mois d’attente et alors que les parlementaires belges doutent ouvertement de la « sincérité » de sa démarche, Johnny Hallyday finit tout simplement par renoncer en octobre 2007. « Je suis Français. Je reste Français. J’ai changé d’avis. On m’a assez traîné dans la boue, explique-t-il-alors, ajoutant : »Je me suis demandé ce qu’avait fait, après tout, mon père pour moi. J’ai eu le temps de réfléchir... Je suis très bien comme je suis !".

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vendredi 8 décembre 2017 à 11h47 - par  cp

En plus s’il voulait devenir belge, c’était à terme pour pouvoir devenir monégasque, chose qu’il est impossible pour un français... Mais on a un peu l’impression qu’un tas d’aigrefins fiscalistes prétendant protéger sa fortune le trimballaient (Honoraires aidant...) car Hallyday ne gagnant ses sous qu’en France et les claquant avant de les avoir encaissés, les compagnies de disques lui faisant crédit (Puis Camus et Coulier...), le prélèvement à la source jouant, il n’avait pas comme Aznavour ou Michel Legrand une fortune extra française à dissimuler, ou déclarer...

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vendredi 8 décembre 2017 à 10h46 - par  Philippe Landru

@jluc Sabatier : c’est la raison pour laquelle j’ai employé le terme « belge » entre guillemets.

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