SURESNES (92) : cimetières anciens du Mont Valérien
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Avec les minuscules cimetières du Calvaire et celui des Juifs portugais de l’avenue de Flandres à Paris, les cimetières anciens du Mont Valérien sont sans nul doute les cimetières les plus confidentiels d’Ile-de-France. En premier lieu, du fait de leur appartenance au fort militaire du Mont Valérien, ils ne sont visibles que durant les journées du Patrimoine, encore qu’on ne puisse pas réellement les visiter puisqu’ils ne sont pas accessibles, mais étant donné leur taille et le peu d’élévation du muret qui les entoure, on peut facilement embrasser du regard l’ensemble de la nécropole.
Cimetières au pluriel car il y en a bien deux : celui des ecclésiastiques, appelé cimetière du Sud Notre-Dame-des-Sept-Douleurs (dont il ne reste quasiment plus rien) et celui du Nord, dit de Saint-Joseph, pour les laïcs. Ils sont symboliquement séparés par un escalier monumental, dit des Cent marches (qui n’est pas non plus accessible), édifié avec des pierres de réemploi provenant d’édifices détruits, en particulier des ruines de l’abbaye de Longchamps voisine.
Histoire du site
Le Mont Valérien a une histoire funéraire ancienne : au Moyen-âge, il abrita une importante communauté d’ermites, dont la plus célèbre fut Guillemette Faussart (morte en 1561), jeune parisienne qui regroupa en ce lieu une communauté de femmes qui fut dispersée par les guerres de religions. Sa stèle funéraire, retrouvée sur le Mont Valérien, est conservée actuellement au musée de Suresnes. Cette période de l’ermitage dura jusqu’à Napoléon, encore que le dernier ermite ne mourut qu’en 1831.
Plusieurs personnes furent inhumées sous l’Ancien Régime dans les différentes chapelles du Mont Valérien. Les ermites possédaient en outre depuis 1742 un cimetière situé dans leur cloître (sur les hauteurs du mont, coté Puteaux). Une vingtaine de moines et quelques laïcs y avaient été inhumés. Lorsqu’en 1802, puis de 1811 à 1813, les églises des deux monastères furent détruites, on dut transférer les corps en haut de la partie gauche du terrain traversé par un escalier, dit des « Cent marches ». On y inhuma ensuite les religieuses de la Mère de Dieu pour lesquelles avait été construit un bâtiment en 1812. Ce fut le premier des cimetières, celui des religieux, caractérisé par son absence de pierre tombale (les corps étaient simplement signalés par une croix de bois).
En 1823, Charles de Forbin-Janson (inhumé au cimetière de Picpus) souhaitant trouver des subsides pour achever la construction de son église décida d’ouvrir un second cimetière où les concessions seraient payantes : ce fut le cimetière des laïcs.
En ce sens, le cimetière des laïcs du Mont Valérien procède d’une logique politiquement réactionnaire et religieusement ultraconservatrice : celle de refuser les grands cimetières parisiens édifiés sous Napoléon, ouverts à tous sans distinction de races ou de religions. Ici, de la même manière qu’à Picpus (mais le souvenir traumatique de la guillotine en moins), le but fut de rassembler des familles aristocratiques ayant, par l’émigration, échappé à la guillotine. Les concessions étaient chères, mais le cimetière connut du succès sous la Restauration, en particulier durant le règne de Charles X. Il fut donc la nécropole de la Contre-Révolution.
Son histoire fut néanmoins courte : il ne fut plus octroyé de concessions à perpétuité dès 1830, puis le cimetière fut désaffecté en 1837 (même si la dernière inhumation, celle de Nicolas Pelée, eut lieu en 1844). Le cimetière tomba ensuite dans l’oubli.
Le cimetière aujourd’hui
Depuis sa fermeture, le cimetière connut bien des avanies : plusieurs fois frappé par la foudre, victime de profanations, et resté longtemps non entretenu, il est désormais un cimetière ruiné même si l’herbe est à présent à nouveau coupée et qu’une association a, ses dernières années, restauré quelques tombes.
On distinguera les deux cimetières : comme nous l’avons vu, il ne reste quasiment plus rien du cimetière des clercs, ceux-ci étant inhumés sous des croix de bois. Le cimetière des laïcs, que l’on peut embrasser d’un seul regard, est une pente herbeuse sur laquelle se dresse ça et là quelques tombeaux ruinés. Sur les 230 concessions existantes, il n’en reste plus qu’une soixantaine sur lesquelles s’élève encore un monument, le plus généralement éventré ou affaissé. Les inscriptions sont de plus en plus difficiles à lire.
Les célébrités
Malgré la brièveté de son histoire, mais compte tenu des circonstances exceptionnelles de sa création, plusieurs personnalités de l’Ancien Régime et de la Restauration se firent inhumer ici. On est ainsi surpris de constater, pour un si petit nombre de tombes, une telle densité de notabilités (dont cinq évêques et deux maréchaux de France !). Comme à Picpus, nous présentons ici celles qui se firent connaître autrement que par une simple origine aristocratique.
Il est également à noter que la gouvernante du futur Louis-Philippe, la fameuse Stéphanie de GENLIS (1746-1830), fut inhumée ici avant son transfert en 1842 dans le tombeau qu’elle occupe désormais au Père Lachaise.
Antoine Jean d’AGOULT (1750-1828) : lieutenant général des armées, Gouverneur du château de St Cloud, il émigra en 1791 et suivit Louis XVIII avec lequel il revint en France. Premier écuyer de la duchesse de Berry, il fut fait baron et Pair de France.
Sébastien AMELOT (1741-1829) : Évêque de Vannes depuis 1774, la Convention nationale le convoqua en raison du faible nombre de prêtres assermentés dans son diocèse, le plus faible de tous. S’étant exilé en Suisse, il émigra en Angleterre suite à l’expédition de Quiberon de 1795. Lors du Concordat, il refusa de démissionner.
Jean-Baptiste de BEAUVAIS (1731-1790) : prêtre parisien, il ne tarda pas à se rendre célèbre par ses homélies à Paris. Freiné pour l’accession à l’épiscopat par son humble naissance, le roi le nomma cependant évêque de Senez, l’un des plus petits évêchés de France, en 1773. Fraîchement évêque, il interpella Louis XV et à Madame du Barry lors du Sermon de la Cène le jeudi saint de 1774, en lui adressant ces mots : « Sire, mon devoir d’un ministre d’un Dieu de vérité m’ordonne de vous dire que vos peuples sont malheureux, que vous en êtes la cause, et qu’on vous le laisse ignorer ». Louis XVI lui demanda de prononcer l’oraison funèbre du monarque défunt en la basilique de Saint-Denis. Lors des États généraux de 1789, il fut élu député du clergé. Opposé à l’esprit des Lumières, même s’il souhaitait une réforme du régime, il rejeta le climat de l’assemblée et s’effaça rapidement des débats sans y jouer aucun rôle. Il mourut peu après et fut inhumé en l’église des missionnaires du Mont Valérien, puis transféré dans le nouveau cimetière lors de la destruction de celle-ci, en 1823.
Pierre Vincent BENOIST (1758-1834) : banquier et diplomate français, il dut s’exiler durant la révolution pour avoir été mêlé à l’affaire de la liquidation de la compagnie des Indes. Député du Maine-et-Loire de 1815 à 1827, il fut comblé d’honneur par Louis XVIII qui le fit ministre d’Etat, membre du Conseil privé, puis comte en 1828. Il laissa plusieurs ouvrages, en particulier des traductions d’auteurs anglais. Avec lui repose son épouse, Marie Guillemine LEROULX-DELAVILLE (1768-1826). Ancienne élève d’Élisabeth Vigée-Lebrun puis de Louis David, elle fut elle-même une portraitiste douée. Son œuvre comporte également des tableaux d’histoire et des scènes religieuses (elle réalisa une Vierge à l’Enfant pour la cathédrale d’Angers). Son Portrait d’une négresse est devenu l’icône de la femme noire du XIXe siècle. Dans ce cimetière repose également leur fille, qui fut l’épouse de Jean-Denis Cochin.
Etienne Antoine de BOULOGNE (1747-1825) : ancien prédicateur du roi, il fut élu député du clergé aux Etats-Généraux de 1789. Opposé aux décrets de l’Assemblée constituante sur le clergé, il refusa le serment à la constitution civile du clergé, fut arrêté trois fois sous la Terreur et condamné à la déportation, mais il réussit à se cacher. Il adhéra avec enthousiasme au Concordat de 1801 avec un empressement dont le premier Consul lui sut gré : chanoine et grand vicaire de Versailles, Napoléon Ier en fit son chapelain en 1806. Appelé à l’évêché d’Acqui Terme en 1807, il refusa ne sachant pas parler l’italien. Baron d’empire en 1808, il fut nommé à l’évêché de Troyes la même année. Il dut sa disgrâce pour avoir trop prit partie pour Pie VII, en captivité en France, ce qui lui valut certainement de retrouver son évêché sous la Restauration. En 1815, il prononça à la basilique de Saint-Denis l’oraison funèbre de Louis XVI : le gouvernement de la Restauration le nomma en 1817 à l’archevêché de Vienne, mais les évènements rendirent nulle cette nomination ; on l’en dédommagea en l’élevant à la pairie le 31 octobre 1822. Inhumé dans ce cimetière, son corps, lors de la construction des fortifications de Paris, fut réclamé par le clergé de Troyes qui le récupéra en 1842.
Louis Sylvestre de la CHÂTRE (1754-1829) : d’abord destiné aux Armées où il devint officier, il entra dans les ordres en 1772. Evêque de Beauvais de 1817 à 1822, il devint évêque in partibus d’Himeria à partir de 1823.
Gabriel Marie DU PAC de BADENS (1737-1829) : député de la noblesse aux Etats-Généraux de 1789, il siégea à droite avant de se démettre et de quitter l’Assemblée en 1790.
Guillaume Marie DU PAC de BELLEGARDE (1757-1830) : contre-amiral français, il participa à la guerre d’indépendance américaine avant d’émigrer en 1791 et de participer à la Campagne des Princes. Sa tombe ruinée est en grande partie enfouie sous la terre.
Ludwig Aloysius Joachim, prince de HOHENLOHE-WALDENBURG- BARTENSTEIN (1765-1829) : Entré en 1784 au service du Palatinat, il le quitta en 1792 pour prendre le commandement d’un régiment levé par son père au service des princes émigrés de France. Il s’y distingua, notamment en défense devant Wissembourg en France. Il entra ensuite au service des Pays-Bas où il lutta contre Pichegru. Napoléon lui offrit de lui rendre sa principauté à condition qu’il intégrât la Confédération du Rhin, mais il refusa et entra au service du Wurtemberg. Après la chute de l’empereur, il entra au service de la France, et en 1815, il prit le commandement d’un régiment levé par lui-même (le régiment de Hohenlohe, l’un des régiments dont est issue la Légion étrangère). En 1823, il fut naturalisé français et fut fait maréchal et pair de France par Charles X en 1827.
Charles du HOUX de VIOMÉNIL (1734-1827) : lieutenant, il participa à la Guerre de Succession d’Autriche, puis à la guerre de Sept Ans. En 1768, il fut envoyé en Corse pour commander une brigade d’infanterie lors de l’annexion de l’île. Maréchal de camp en 1780, il servit en Amérique sous les ordres de Rochambeau. Gouverneur de la Martinique et des Îles du Vent entre juillet 1789 et avril 1790, il dut faire face à la montée des idées révolutionnaires dans l’île. Il émigra en 1791 et entra dans l’armée de Condé, où il fut envoyé avec 17 00 soldats dans les îles de Jersey et Guernesey pour préparer un débarquement en France. Passé au Portugal, il revint en France avec la Restauration : nommé pair du royaume en 1814, il suivit Louis XVIII à Gand lors des Cent-Jours. De retour en France, il fut nommé commandant de la division militaire de Bordeaux et fut récompensé par le Roi de sa loyauté : Maréchal de France en 1816, il fut fait marquis en 1817.
Germain Hyacinthe de Romance, marquis de MESMONT (1745- 1831) : D’abord page de la Grande Écurie, il devint officier aux Gardes Françaises et, à la veille de la Révolution, il avait rang de lieutenant colonel. Émigré, il se vit confier l’avant-garde de l’armée des Princes avec le grade de major général. Établi par la suite à Hambourg, il mena une vie d’éditeur et de censeur et y fut même incarcéré durant un mois en août 1800. Passé en Russie, il y devint conseiller d’État. De retour en France sous la Restauration, il fut nommé en 1817 ambassadeur de France auprès de la cour de Danemark. On luit doit plusieurs ouvrages politiques et militaires, ainsi que des récits de voyage.
Charles-André-Toussaint-Bruno RAMON de LALANDE (1761-1830) : évêque de Rodez de 1817 à 1830, il fut nommé cette même année archevêque de Sens mais mourut peu de temps après.
André Joseph Arsène de ROSSET de ROSCOZEL de FLEURY (1761-1815) : Premier gentilhomme à la cour de Louis XVI, il devint duc de Fleury en 1810 puis Pair de France à la Restauration. Inhumé à l’origine au Père Lachaise, ses restes furent déplacés dans ce cimetière mais furent ultérieurement profanés.
Pierre VILLOT DE FRÉVILLE (1746-1831) : député bonapartiste de 1803 à 1812.
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