Le cimetière du PERE-LACHAISE : chroniques des années 80

dimanche 17 février 2008
par  Philippe Landru

Aborder le Père-Lachaise, c’est le plus souvent rendre compte de son passé riche en histoires : celles des Empires, de la Restauration ou de la Commune. L’objet des articles qui suivent est tout autre : prendre en compte le passé le plus immédiat du cimetière. Le XXe siècle est le parent pauvre des études sur la riche nécropole, comme si les défunts qui nous sont proches comptaient moins que ceux qui avaient fait leur preuve, patine du temps oblige. C’est oublier que ceux qui firent notre actualité seront les vedettes, parfois secondaires, des amoureux du cimetière de demain.

J’ai arpenté pour la première fois les allées du Père-Lachaise en 1984 : je ne l’ai plus quitté depuis. A l’époque, il m’apparaissait tel un océan inextricable. Comme bien d’autres, je fis mes gammes sur Piaf, Chopin et Balzac... puis décidais d’aller plus loin.

Dans la vie de tout habitué du Père-Lachaise, il y a deux types de célébrités : celles qui furent inhumées avant qu’on ne connaisse le cimetière, et celles qui vinrent après. Les premières sont rassurantes : on a la sensation, par leur pérennité, qu’elles furent toujours là à nous attendre. Elles donnent la sensation d’un temps figé. Les secondes sont inquiétantes : elles nous parlent de notre mort. Comme l’écrit Bertrand Beyern : « Face au marbre ou au granit qui dissimulent leurs restes, je ne recherche aucun dialogue ni ne leur pose la moindre question. C’est à moi que je parle mais je me parle d’eux » [1]. Voir la tombe de ceux que l’on a connu vivants nous renvoie à notre propre mort. Peut-être est-ce pour cela que certains boudent ces morts trop récents : le taphophile ne se montre que rarement nécrophile !

Les éléments qui suivent sont un mémorandum de mes années au Père-Lachaise : pour les plus anciens, il rappellera des souvenirs, pour les nouveaux visiteurs, ce sera une chronique du Père-Lachaise contemporain.

1984

Je découvris donc le Père-Lachaise en 1984. A cette époque, pas si lointaine pourtant, il était plus sauvage. Les reprises y étaient moins massives, ou celles-ci étaient moins flagrantes. L’asepsie prisée de nos jours (mais par qui ?) laissait aux monuments leur crasse séculaire. A distance, on pouvait suivre la piste des graffitis qui menaient à Morrison où son buste était toujours à sa place. Les maréchaux semblaient une jungle inexplorée où les homosexuels étaient encore légions. Thiers attendait une réfection qui n’en finissait pas. Le columbarium n’était pas encore devenu cette cité HLM bondée qu’il est aujourd’hui.

Pour lecture, nous avions peu de chose à nous mettre sous la dent : Ebay n’existait pas encore, qui nous eût permis à l’époque de dénicher le Salomon, le Falip ou le Moiroux pour quelques francs. Nous disposions du Dansel, du Le Clere et du Langlade, qui régnait en maître et apparaissait dans les quelques émissions consacrées au cimetière. Pas de site Internet évidemment pour échanger, nous rencontrer. Il y avait bien sûr des habitués déjà (il y en a toujours eu), telle Colinette, mais ils n’étaient alors connus que par les initiés. La moyenne d’âge de ceux-ci était sans doute plus élevée que de nos jours.

Des touristes, il y en avait déjà beaucoup, mais sans doute moins qu’aujourd’hui. Leur itinéraire était invariable. C’était encore l’époque où beaucoup de bruits circulaient sur le cimetière : des messes noires s’y organisaient, on égorgeait des chats et des poulets la nuit. Et puis les ébats sexuels : à écouter quelques-uns, le Père-Lachaise était l’immense baisodromme de toute la capitale. Il y avait évidemment beaucoup de fantasmes dans tout cela, mais ceux-ci émoustillaient déjà les visiteurs. A cette époque, les plans que l’on distribuait à l’entrée du cimetière étaient à peine lisibles à force d’être photocopiés. Les tombes y étaient situées très sommairement.

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J.Hillairet

Symboliquement, ce fut cette année-là que fut inhumé, à 98 ans, le génial Jacques Hillairet (1886-1984), que tout amoureux de Paris connait : son Dictionnaire des rues de Paris nous est familier, tout comme ses 200 cimetières du Vieux Paris. Ses nombreux écrits sur la capitale sont si remarquables qu’ils font encore autorité. On ne peut que se lamenter, malgré le grand nombre de parutions d’ouvrages sur Paris, du chronique mauvais recopiage de son œuvre. Il avait dignement sa place dans

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P. Ogier

ce cimetière. En 1984 encore, ceux qui étaient plus âgés que moi - je n’avais que 13 ans après tout ! - pleuraient la mort de Pascale Ogier (1960-1984), qui semblait avoir une carrière prometteuse suite à son rôle dans les Nuits de la Pleine Lune, mais qu’une overdose avait terrassée : on entendait alors sur les ondes Petite conne, la chanson que lui avait dédiée Renaud.

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Y.Güney

Fidèle à sa vocation de terre d’asile, le Père-Lachaise accueillit cette année là le cinéaste kurde Yilmaz Güney (1937-1984) : connu essentiellement en France pour son film Yol, qui obtint la palme d’or à Cannes en 1982, il milita toute sa vie pour la reconnaissance du peuple kurde, ce qui lui valut de nombreux séjours en prison en Turquie. Il finit par s’exiler en France, d’où sa présence dans ce cimetière. Figure extrêmement populaire dans tout l’Est de la Turquie, ses films ne furent autorisés dans ce pays qu’en 1992. Beaucoup de visiteurs qui pénètrent dans le cimetière par la porte des Amandiers longent sa tombe (qui est en bordure) sans savoir qui est inhumé sous l’étrange portique qui la surmonte.

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Au columbarium, le compositeur Michel Magne (1930-1984) prenait place : pour moi, il était surtout l’auteur de la musique des Misérables de Robert Hossein, film qui m’avait marqué. J’appris plus tard la diversité et le grand nombre de ses compositions : les Tontons Flingueurs, Mélodie en Sous-sol, Belle de Jour, la série des Angélique...

1985

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S.Signoret

Deux personnalités de premier ordre furent inhumées dans le cimetière cette année-là : tout d’abord Simone Signoret (1921-1985). Pour la première fois réellement, quelqu’un faisant partie de mon quotidien cinéphile entrait au Père-Lachaise après ma découverte du cimetière. On se pose alors la question : mais qui y avait-il avant à cet emplacement ? Je me souviens très bien de sa tombe les premiers mois. On y voyait à un moment une paire de lunettes : oubliée par un fan ? On se prenait à croire que c’était les lunettes de Signoret elle-même, déposées par sa fille ou par Yves Montand, que je me souviens avoir rencontré une fois en recueillement sur sa tombe. Et puis il y avait cette plaque : « souvenance de cinéphile ». Je ne savais pas à l’époque qu’il s’agissait d’une association. Tout cela laissait perplexe.

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Le second était Fernand Braudel (1902-1985) : en 1985, je ne le connaissais pas. Je ne savais pas que ma formation d’historien allait, quelques années plus tard, me faire découvrir cet étonnant historien dont la thèse, la Méditerranée et le monde méditerranéen à l’époque de Philippe II, fut commencée en captivité durant la guerre grâce à sa seule mémoire ! Dans la lignée des Annales, Braudel révolutionna l’histoire et la perception qu’on en avait. Au temps rapide de l’histoire (celui des grands hommes, qui marquent tant leur temps que l’on en change à leur mort), il ajouta le temps long, celui des permanences agricoles, sociétales, quasiment inchangées pendant des siècles. Je me plais à croire que le dessin de facture contemporaine de sa tombe (une droite coupée par une courbe) représente cette interaction entre les deux temps de l’histoire, qui semble parfois accélérer les évènements du monde. Cette même tombe est aujourd’hui oubliée : trop proche de Morrison, qui vampirise le public, elle est à l’écart des circuits, injustement.

La même année, une actrice d’un autre âge rejoignait le columbarium : Line Noro (1900-1985). Son existence cinématographique consista à incarner les mères douloureuses, les femmes malheureuses, les héroïnes sacrifiées, bref à beaucoup pleurer et surtout faire pleurer, selon les règles du bon vieux mélo des années 30 et 40. On se souvient encore un peu d’elle grâce à Pépé le Moko, avec Gabin. Si l’auteur-compositeur Jean-Roger Caussimon (1918-1985) , fidèle du Lapin Agile, ami de Ferré pour lequel il écrivit, fut effectivement crématisé au Père-Lachaise, ce fut à Belle-île que ses cendres furent dispersées.

1986

Une génération s’essouffle de ses excès : en 1986, les cendres d’Alain Pacadis (1949-1986) occupent le columbarium. Il rejoint au Père-Lachaise Fabrice Emaer, enterré en 1983 : symboliquement, c’est la mort des années Palace dont Pacadis fut le chroniqueur brillant et alcoolique. Le « nightclubber-clochard » couvrit, dans les colonnes de Libé, Actuels ou Gaypied, la chronique de ces années « strass et drogues », mais également celles de la fête décloisonnée, dans une ambiance survoltée, dans un contexte de libération homosexuelle insouciante du sida qui n’était pas encore connu. A quelques encablures de Pacadis, Jacques Helian (1912-1986) occupe la même année une case, après être décédé dans la quasi-indifférence : il avait pourtant été celui qui avait dirigé le plus célèbre orchestre de variétés et de jazz de l’après-guerre et des années cinquante, faisant chanter et swinguer la France entière pendant plus de 10 ans. Sa création, Fleur de Paris, était devenue l’hymne de la libération. Pia Colombo (1934-1986) est crématisée en 1986 : cette « Léo Ferré au féminin » avait interprété les plus grands, et s’était fait connaître en interprétant les « songs » de Brecht et Weill. Une pionnière du petit écran termine sa carrière cathodique dans le monument de Formigé avant de partir vers une destination inconnue : Jacqueline Huet (1929-1986). Elle avait fait partie de la première équipe de speakerine, avec Jacqueline Joubert, Jacqueline Caurat (ces prénoms générationnels !) et Catherine Langeais.

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M.Oussekine

Le Père-Lachaise se saisit également de l’actualité la plus chaude : dans le cadre des manifestations étudiantes contre le projet Devaquet, le jeune Malik Oussekine (1962-1986) est abattu par une équipe de voltigeurs de la police. L’énorme manifestation qui suit, à laquelle participe 400 000 personnes, gronde contre Pasqua et Pandraud, alors à l’Intérieur. Devaquet démissionne et l’inhumation de Malik Oussekine est suivie par une foule immense. Aujourd’hui, cela semble loin tant sa tombe, à l’écart des sentiers rompus de la visite, est ignorée. Cette année là, le cimetière se dote d’un jardin du souvenir destiné à accueillir les cendres des défunts.

1987

Il y a des années comme ça : les habitués du Père-Lachaise n’eurent rien à « se mettre sous la dent ». On en profite pour cultiver le jardin et se consacrer aux anciens.

1988

La commémoration semble bien tardive... Elle a le mérite d’exister : en 1988 est érigé au cimetière un monument à la mémoire d’Imre Nagy (1896-1958) qui a valeur de cénotaphe pour ce communiste modéré qui avait pris en main les aspirations de changement démocratique du peuple hongrois. Rappelé au pouvoir, sa décision de quitter le Pacte de Varsovie en 1956 fut suivie de la répression brutale des Soviétiques : arrêté, il fut exécuté deux ans plus tard. Son corps fut jeté dans une fosse commune d’un cimetière excentré de Budapest. Ce type de monument était une première : on ne pouvait pas prévoir alors que l’année suivante, le mur de Berlin allait tomber et que, dans l’élan démocratique de l’Europe de l’Est, Nagy allait être réhabilité. De fait, son corps fut exhumé et on lui éleva un monument grandiose. Le cénotaphe du Père-Lachaise demeure néanmoins un lieu de recueillement pour la communauté hongroise de Paris : fleurie aux couleurs de la Hongrie, il est encore visité toute l’année.

En cette même année, un amoureux du Père-Lachaise décédait : l’humoriste Pierre Desproges (1939-1988). Ses réflexions sur le temps, la mort ou la décrépitude donnèrent lieu à des sketches. Ne déclarait-il pas : « Qu’est-ce que le premier janvier, sinon le jour honni entre tous où des brassés d’imbéciles joviaux se jettent sur leur téléphone pour vous rappeler l’inexorable progression de votre compte à rebours avant le départ vers le Père-Lachaise... ». Le cancer eut raison de lui. Ses cendres furent mêlées à la terre de sa tombe végétalisée : il repose devant Chopin, et nombreux sont ceux qui cherchaient sa sépulture avant qu’un fan de M. Cyclopède ne place son portrait dessiné sur le modeste enclos. On inhuma également Christine Fabrega (1931-1988). J’ignorais à cette époque l’actrice (Nous ne vieillirons pas ensemble, Deux hommes dans la ville...), mais connaissais néanmoins, en bon téléphage de ma génération, celle qui participait aux jeux télévisés, des Jeux de 20 heures à l’Académie des Neuf. Sa tombe, discrète et en hauteur, s’aperçoit lorsqu’on longe la 36ème division par l’avenue circulaire.

***

Le sida commençait à être connu : il était naturel que le Père-Lachaise ait été un témoin privilégié de l’hécatombe. Lorsque le journaliste Jean-Paul Aron (1925-1985) annonça à la fois son homosexualité et sa maladie, il fut un précurseur en brisant un tabou, celui du silence honteux qui avait entouré peu de temps auparavant la mort de Michel Foucault. Son témoignage fit énormément évoluer la perception qu’avait la société française de la pandémie. La crémation devint la norme, sorte de rituel de purification post-mortem ? La même année disparaissait, également vicitime du sida, Guy Hocquenghem (1946-1988) qui s’était illustré, dans les années 70, comme l’une des principales figures du mouvement de libération homosexuel. Dans son essai le Désir homosexuel ou son film Race D’ep, il avait dénoncé sur le mode critique l’« invention » de l’homosexualité comme catégorie produite par le discours médical (malade aux yeux de la psychiatrie, coupable aux yeux de la loi) et la paranoïa hétérosexuelle face à une homosexualité qui fait peur et qui se trouve réduite à une déviance. Tous deux terminèrent l’épopée militante au columbarium du Père-Lachaise.

Purification également ? Volonté d’en finir avec les excès ou vol par un admirateur ? Le Père-Lachaise est en ébullition car le buste de Jim Morrison a disparu ! Bientôt, les graffitis seront effacés et la tombe gardée en permanence. Lente agonie de la permissivité des années 70.

1989

Charles Vanel (1892-1989) nous quitte, mais sa crémation au Père-Lachaise n’est qu’un passage avant une division de ses cendres entre le cimetière paysager de Mouans-Sartoux (06) et la Méditerranée. Peu de chose en somme pour un bicentenaire très médiatisée : la foule est dans la rue, pas au cimetière. On profite néanmoins de l’occasion pour panthéoniser Gaspard Monge, le créateur de l’école polytechnique.

A suivre :
- Chroniques des années 90
- Chroniques des années 2000


[1B.Beyern Mémoires d’Entre-tombes, le Cherche Midi, 1997


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