MORRISON Jim (James Douglas : 1943-1971)
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Il ne s’agit pas ici de faire un récit exhaustif de la carrière des Doors : d’autres sites seront beaucoup plus adaptés pour ça.
Ce qui me semble plus intéressant, c’est de tenter un bilan de 35 ans de dévotion sur ce qui est sans doute l’une des tombes les plus connues de la planète.
Mort d’une overdose à Paris, Morrison cultiva une image de sex-symbol, et sa réputation sulfureuse de drogué dionysiaque, d’alcoolique notoire et de poète maudit y contribua largement. Sa mort, subite et bouleversante comme le sont toutes les morts de personnes jeunes, acheva de préparer le statut de mythe qui le nimbe aujourd’hui.
Pour les habitués des cimetières, et du Père-Lachaise en particulier, le « cas Morrison » est intéressant à plusieurs égards :
en premier lieu, ce qui est sans doute le plus frappant, c’est le décalage antinomique qui existe entre le Père-Lachaise et son plus célèbre occupant : si, par certains aspects de sa personnalité, Morrison aurait sans doute aimé l’idée d’être inhumé ici, il n’y a plus éloigné que cette vedette anticonformiste et « scandaleuse » et la vocation bourgeoise et bien-pensante du cimetière. Ainsi, ce n’est pas le moindre des paradoxes de constater que la meilleure publicité du Père-Lachaise attire dans ce cimetière une population jeune qui se pose souvent en adversaire des valeurs qu’il véhicule.
- 1985 : le buste est toujours là, les graffitis aussi...
En second lieu, Morrison est un parfait exemple de vraie « fausse étoile » du lieu. Je ne nie ici ni l’existence de fans, qui restent nombreux à écouter sa musique, ni la ferveur réelle qu’il connut de son vivant et après sa mort. Je ne réfute ni la qualité de ses textes ou de ses musiques toujours appréciées. Je dis simplement qu’il ne fut pas le seul à atteindre cette notoriété, surtout pour sa génération, et que le rapport entre sa notoriété, aussi grande soit-elle, et les charters de visiteurs qui viennent sur sa tombe est totalement disproportionnée. Morrison est pour le Père-Lachaise ce que la Joconde est pour le Louvre : une visite incontournable. Tous les visiteurs de la Joconde ne sont pas tous, loin de là, des esthètes qui comprennent ce qu’il y a de génial chez Vinci : ils viennent cocher une étape de leur visite à Paris, et c’est en cela que cette tombe est passionnante. Il serait intéressant de connaître avec exactitude le nombre de personnes qui visitent Morrison sans avoir jamais entendu autre chose que Light my fire ou lu une quelconque ligne sur lui...
Morrison pose le problème hautement subjectif de la notoriété, et des conditions pour y accéder. Plus encore, il est une interrogation sur la pérennité de cette notoriété, car il faut bien avouer qu’avec le développement du tourisme de masse, ses « clients » sont toujours aussi nombreux, 35 ans après sa mort. Il est devenu à sa manière un « classique », un de ceux dont tout le monde parle sans avoir lu une ligne ou écouter une note. Il faut les voir, les rassemblements autour de Morrison. Toute une humanité : aux désormais soixantenaires qui furent des fans de la première heure se sont joints des jeunes, au style vaguement gothique, qui découvre sa musique. Il y a aussi les touristes américains, pour lesquels il représente une page enclavée dans la vieille Europe de leur propre histoire (imaginez si Serge Gainsbourg était inhumé dans le Maryland !...). Il y a enfin tous les badauds, le plus grand nombre, se penchant désespérément sur les barrières qui gardent sa tombe pour tenter d’apercevoir...quoi ?...et c’est là tout le paradoxe : on sait qu’il faut aller voir Jim Morrison mais on ne sait pas bien pourquoi.
- ...puis le ménage est fait....
la tombe de Morrison est enfin passionnante en raison des traditions sulfureuses, réelles ou fantasmées, qu’elle véhicule. Depuis le 3 juillet 1991, anniversaire de sa mort, où des violences s’étaient produites, des gardiens reconnaissables gardent la tombe en permanence. Un lampadaire contiendrait une caméra qui surveillerait le lieu. Plus récemment, des barrières empêchent les fans de se livrer à des manifestations hystériques. Les joints se font plus discrets que par le passé. Les graffitis ont disparu qui, dès l’entrée, signalaient la direction de sa tombe, signes idôlatres qui auraient sans doute choqués les sous-chefs de bureau du ministère de l’agriculture qui sont légions dans ce cimetière. Et puis il y a les mystères : qu’est devenu le buste en platre qui pendant longtemps signalait sa tombe ? La tombe ne manque pas de prosateurs en mal de gogos : depuis 35 ans, on entend qu’il n’est pas mort mais qu’il a préféré disparaître de la vie publique, ou bien qu’il n’est plus dans ce cimetière depuis longtemps ... D’autres annoncent son transfert prochain pour les Etats-Unis (21 ans que je fréquente ce cimetière, 21 ans que j’entends cela !...). Les fans de Morrison ont leurs moments forts : lors des dates anniversaires, bien entendu, ou encore lorsque, dans le cadre de la promotion du film que leur avait consacré Oliver Stone, les autres membres des Doors lui avaient rendu une visite éclair.
- ...mais les témoignages de ferveur reviennent vite !
Pour le cimetière, il est à la fois terriblement encombrant et génialement publicitaire. Pour les habitués du cimetière un brin misanthropes, il est un formidable aimant à touristes qui leur permet d’arpenter en toute solitude d’autres divisions du cimetière. Mais malheur à Lesseps, Lebrun ou Poulenc s’ils désiraient voir du monde post-mortem : le vampire Morrison leur ravit les clients potentiels !
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