La tombe de POL POT attire les touristes

Article du Monde - 11 septembre 2006
dimanche 3 février 2008
par  Philippe Landru

Devant ce qui sert de tombeau à l’un des plus grands assassins politiques du XXe siècle, on trouve quelques pommes, des bâtons d’encens, une tête de cochon précuite aux oreilles et au museau pointus, et un verre de Coca-Cola impérialiste, authentifié par la bouteille à proximité. Offrandes à la mémoire d’un homme dont le seul nom suscite la terreur. Sous un toit de tôle ondulée au milieu d’un terrain villageois sans importance repose ici Pol Pot, mort en 1998, probablement trucidé par ses anciens compagnons d’armes.

Une famille recomposée est venue faire ses dévotions, avec ses deux garçonnets. Il faut que « toutes les âmes soient en paix », dit la dame, qui avait 10 ans quand Pol Pot prit le pouvoir, le 17 avril 1975. « Y compris la sienne. Nous avons eu tant de tourments... Je prie pour la sécurité de ma famille, dont celui-ci », dit-elle, montrant le plus petit des gamins. Son compagnon, père de l’autre, approuve du chef.

Un tourisme macabre se profile dans le district d’Anlong Veng, au pied de la chaîne montagneuse des Dangrek, frontière entre le nord du Cambodge et la Thaïlande. Depuis la mort, en juillet, du chef militaire Ta Mok, ce sont deux des plus hauts dirigeants des Khmers rouges qui gisent là, incarnant post mortem toute l’ambiguïté du pays à l’égard des responsables d’une tragédie aussi longue que meurtrière : d’avril 1975 à janvier 1979, ces hommes et quelques autres toujours en liberté ont présidé à la disparition physique d’un tiers de la population avant d’être chassés par les Vietnamiens. Le tribunal chargé, avec la participation des Nations unies, de juger les ex-responsables du « Kampuchéa démocratique » se met en place à Phnom Penh, la capitale. A Anlong Veng, l’idée d’une justice pour les crimes contre l’humanité est bien lointaine.

Rien n’identifie Pol Pot, dont la dépouille fut brûlée sur un tas de pneumatiques, à quelques dizaines de mètres de la passe de Choam Sa-Ngam menant à la Thaïlande, hormis un simple panneau : « Pol Pot fut incinéré ici. Prière d’aider à préserver ce lieu historique - Ministère du tourisme ».

Si le chef historique des Khmers rouges a été inhumé à la périphérie, en ville, le tombeau de Ta Mok, chef militaire qui a ordonné la mise à mort du premier, permet de comprendre que c’était lui le maître des lieux, dans une des régions les plus pauvres du pays. C’est une tombe de seigneur de guerre en construction. Le sarcophage de ciment est installé dans le temple bouddhique de la « Scierie de Ta Mok », lequel se livrait à l’exploitation sauvage des essences précieuses de la forêt tropicale. Le clergé bouddhiste a inhumé en grande pompe Ta Mok, surnommé « le Boucher » et mort dans un hôpital de Phnom Penh où il était emprisonné depuis mars 1999.

La résidence de Ta Mok fait elle aussi partie de cette amorce de tourisme historique, au demeurant revendiqué : une circulaire gouvernementale appelant à « la préservation des vestiges du génocide » a été signée le 14 décembre 2001 par le premier ministre Hun Sen (lui-même un ex-Khmer rouge). Deux corps de bâtiment sur pilotis donnent sur un lac artificiel d’où émergent les troncs morts d’arbres ayant pourri par la racine, quand les Khmers rouges ont fait détruire les diguettes grâce auxquelles les paysans jusqu’alors contrôlaient le régime hydraulique afin de cultiver leurs rizières privées. Il s’agissait de collectiviser l’agriculture. La famine qui s’ensuivit porta le bilan de la période à deux millions de morts environ. Dans la demeure aux magnifiques fûts de teck, des fresques maladroites évoquent la glorieuse période des rois d’Angkor, la référence nationale mythifiée à laquelle ces communistes radicaux s’étaient à leur tour raccrochés.

Les investisseurs thaïlandais et sud-coréens s’emparent des lieux. Une route moderne plonge vers Anlong Veng depuis la crête des Dangrek. Une villégiature casino-piscine-club de sport affiche sa prometteuse réclame devant un début de chantier. « Corridor international de Choam », dit la publicité.


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