ORLÉANS (45) : Grand cimetière
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Triste ! Orléans a perdu l’essentiel de son patrimoine funéraire ancien. Pourtant, les bases auraient pu être bonnes : il y eut un premier Grand cimetière, le Campo Santo, un grand cloître enherbé entouré de galeries avec arcades (XVe/XVIe siècles). Il fut, du XIIe siècle à 1786 la principale nécropole de la ville, mais fut désaffecté à la fin du XVIIIe siècle et devint, de 1824 à 1884, une halle aux blés. Il fut alors transformé en salle des fêtes jusqu’en 1970, date à laquelle les bâtiments furent détruits et le cloître rénové pour devenir peu à peu un grand espace de plein air évènementiel.
- L’entrée de l’ancien campo santo...
- ... désormais entrée du... parking souterrain (!).
A la fin du XVIIIe siècle, comme dans la plupart des grandes villes de France, les cimetières paroissiaux (et donc le Campo Santo) furent remplacés à Orléans par deux cimetières : Saint-Jean et Saint-Vincent. Cela ne suffit cependant pas, et l’actuel Grand cimetière qui les remplaça fut inauguré en 1896. Saint Jean et Saint Vincent furent lotis ou transformés en parc, voyant ainsi le patrimoine funéraire du XIXe siècle, le plus riche, disparaître définitivement (quelques tombeaux furent néanmoins rapportés dans l’actuel cimetière : nous en verrons quelques uns dans cet article) !
Bourgeois et conformiste dans ses parties anciennes, le cimetière ne possède pas de monuments particulièrement extravagants, de ceux qui plaisent au promeneur en visite. Plat et peu arboré au sein de ses divisions, d’un relief et d’un profil monotone, l’endroit ne se distingue que par sa forme singulière qui se dessine dans le paysage urbain ; celle d’un grand navire vu de haut (d’une baleine ? D’un poisson ?) bordé par avenues et lignes de chemin de fer.
Ceci étant dit, certains tombeaux abritent des personnalités plus ou moins locales mais néanmoins intéressantes qu’il convient de débusquer.
Curiosités
Le monument-ossuaire de la guerre de 1870 : il fut élevé à la mémoire des soldats français et allemands morts pendant la guerre de 1870-71 dans les combats dont Orléans a été l’enjeu à plusieurs reprises. Dessiné par l’architecte orléanais Noël, il abrite une vaste crypte où ont été inhumés les restes de 904 soldats français et 1207 allemands. Il avait été érigé à l’origine dans l’ancien cimetière Saint-Vincent, il fut déplacé en 1899 sur le terre-plein central de ce cimetière. Le Grand cimetière abrite également plusieurs tombes militaires allemandes, isolées ou collectives, de la guerre de 1870.
- Colonne commémorative surmontant la tombe de soldats bavarois morts en décembre 1870.
Un monument édifié à la mémoire "des soldats morts aux colonies et dans les expéditions lointaines".
Quelques figures locales intéressantes, pour l’essentiel dans la section A, qui regroupe les plus vieilles tombes du cimetière :
- Victor Arago, commandant de la Légion étrangère, mort en 1870 aux combats d’Orléans, appartenait à la célèbre famille (il était le neveu de François Arago).
- Une stèle fut dressée « à la mémoire de Luc Laurent Barthélémy Bigot, ouvrier tonnelier, qui pendant les inondations de 1846, le 21 octobre, a péri à l’âge de 30 ans au milieu des eaux en portant secours aux inondés après en avoir sauvé un grand nombre » [section A].
- L’érudit Rémi Boucher de Molandon (1805-1893), qui laissa plusieurs ouvrages sur Jeanne d’Arc.
- L’abbé Edmond Desnoyers (1806-1902), qui fut directeur du musée archéologique d’Orléans et du musée Jeanne d’Arc, et le fondateur de la Société archéologique de l’Orléanais. Il laissa derrière lui plusieurs ouvrages à caractère historique. Sa tombe est ornée d’un médaillon en bronze [section A].
- Le docteur Jean Louis Narcisse Payen (1797-1872), qui exerça la médecine à Orléans dès 1827 après avoir fait ses études dans le service de Jean-Etienne Esquirol. Dès 1837, il fut nommé médecin des aliénés, puis le 19 juillet 1844 médecin en chef du Quartier des aliénés des Hospices Civils d’Orléans. Dans son testament, il fit un legs à la ville d’Orléans à la condition de créer un hôpital d’une cinquantaine de lits pour le traitement des maladies de l’enfance. L’acte stipule que « cet hôpital recevra les enfants de 3 à 15 ans, affectés de maladies aiguës. Mais ne devrons y être admis que les enfants atteints de maladies chroniques telles que scrofule, teigne, dartre, phtisie à sa dernière période. ». La Fondation Payen fut construite à l’angle nord-est de l’Hôtel-Dieu. Son médaillon fut réalisé par Clovis Monceau.
- L’avocat Jean-Baptiste Paillet (1784-1861), qui participa à la publication de la première des neuf éditions du Manuel du Droit Français [section A].
- Le commandant Jean Philippe de Poli, mort en tentant de réprimer une émeute en mars 1848 [section A].
- Le philanthrope Gabriel-François Serenne (1796-1882), qui fonda l’orphelinat qui porte son nom à Orléans [section A].
Une tombe rappelle la mémoire de Patrice Bourreau, mort dans le torpillage du Gallia. Le navire se trouvait entre les côtes de Sardaigne et la Tunisie, lorsqu’une torpille lancée par un sous-marin allemand vint le toucher par le travers de la cale avant, chargée de munitions. L’explosion fut considérable et le Gallia coula en moins de quinze minutes.
Quelques ornements funéraires :
- Le lieutenant colonel Louis Beaugé (+1901)
- Le capitaine Joseph Audy (+1914)
- Le bibliothéquaire Jules Loiseleur (+1900)
- L’aviateur Serge Boineaud (+1916)
- L’ancien maire d’Orléans Maurice Rabourdin-Grivot (+1905)
- Deux médaillons issues de tombes illisibles.
Célébrités : les incontournables...
... mais aussi
Anatole BAILLY (1833-1911) : helléniste et enseignant français, il fut l’auteur d’un célèbre dictionnaire grec-français publié en 1895. Sa chapelle mériterait une vraie réfection.
L’écrivain Fernand BIDAULT (1879-1914), qui fut l’un des premier journaliste sportif, spécialiste du rugby, en particulier dans La Vie Au Grand Air, le grand hebdomadaire sportif du début du XXe siècle. Il mourut des suites de la bataille de Vauquois, lors de la Première Guerre mondiale.
Le baron Pierre BIROT de MOROGUES (1776-1840), qui entra en 1794 à l’École des mines de Paris oùil étudia la chimie et la minéralogie sous la direction de Vauquelin et de Haüy. Il compléta sa formation en fouillant le sol de la Bretagne, du Jura, des Vosges, de la Suisse, de la Savoie, puis, revenu dans sa province natale, s’occupa plus spécialement d’agriculture. Il publia de nombreux mémoires sur la minéralogie, la géologie, ainsi que sur divers points de droit constitutionnel et d’économie politique. Ces derniers, dans lesquels il montrait des idées libérales, lui ouvrirent les portes de l’Académie des sciences morales et politiques. Pair de France, il prit une part importante aux travaux de la Chambre des pairs où, royaliste constitutionnel, il soutint le gouvernement de Louis-Philippe Ier [section D].
Jean COURATIER (1930-1951), qui comme l’indique sa tombe fut un jeune champion de France de moto en 1950 mais qui se tua l’année suivante [section F].
Le comédien FLEURY (Joseph-Abraham Bénard : 1750-1822), qui était fils d’un des acteurs de la troupe du roi Stanislas Leszczyński. Il débuta à la Comédie-Française en 1772, et réussit parfaitement dans les rôles de petits-maîtres, de courtisans, de mauvais sujets. Suspect de sentiments royalistes, il fut arrêté en 1793 et enfermé aux Madelonnettes, mais parvint à échapper à la guillotine. Il quitta la scène en 1818. Inhumé au cimetière Saint-Jean, sa tombe fut transféré ici [section C].
Gontran GAUTHIER (1906-1966) : engagé dans la Marine, il prit part au mouillage de mines en 1939 au large de la Norvège. Rallié à la France Libre en 1940, il prit part aux convois de l’Atlantique avant d’être affecté à la Marine de Nouvelle-Calédonie en 1942. Il fut fait Compagnon de la Libération [section H].
L’officier Désiré Xavier HOSSINGER (1854-1896), qui servit dans les armées coloniales : d’abord en Indochine, il fut affecté dans le Haut-Oubangui où il travailla sous le commandement de Victor Liotard au Haut-Nil. Il fut envoyé par la suite à Tamboura où il obtint l’allégeance du Sultan zandé de Tamboura et avec qui il signa un traité de protectorat le 13 février 1896. Il fut tué peu après par un de ses soldats Sénégalais. L’avant-poste de Tamboura qui porta alors son nom « Fort-Hossinger ». Il ne repose pas ici : inhumé sur site, ses restes furent exhumés et crématisés par le Capitaine Roulet et son staff suite à l’ordre de quitter la région du Haut-Nil, suite à la retraite de Fachoda. Elle furent amenées à Zémio (République centrafricaine) où elles furent inhumées dans le "cimetière chinois" [1].
La famille JARRY, qui s’illustra sur plusieurs générations depuis le XVIIIe siècle comme archivistes et paléographes.
Tristan MAYA (Jean Maton : 1926-2000) : libraire à Orléans, auteur de recueils de poèmes mais également de romans, critique littéraire, il fut le fondateur du Grand Prix de l’humour noir, remis tous les ans au Café Procope de Paris [section C].
Jacques MIRON de l’ESPINAY (1782-1852) : président, puis procureur général au tribunal d’Orléans, il fut député du Loiret de 1824 à 1827. Dans la même chapelle repose son descendant, le sous-lieutenant Robert MIRON de l’ESPINAY PONTLEROY (1923-1947), aide de camp du maréchal Leclerc qui tomba à Colomb Béchar.
L’avocat républicain Alfred PEREIRA (1806-1871), qui fut nommé préfet du Loiret en 1870 (il avait déjà exercé la charge en 1848), mais qui décéda peu après [section A].
Antoine PETIT (1722-1794) : médecin anatomiste, il devint membre de l’Académie des Sciences en 1760. Il fut également membre de la Faculté de Médecine de Paris. Enseignant, il eut parmi ses nombreux élèves Corvisart [section B].
Fernand RABIER (1855-1933) : politicien local, il fut à la fois maire d’Orléans en 1887, puis de 1912 à 1919, député du Loiret de 1888 à 1919, puis sénateur de ce même département de 1920 à sa mort. Radical-socialiste, proche de Combes, il fut l’un des rédacteurs de la Loi de 1905 sur la séparation des Églises et de l’État. Ami de l’écrivain Charles Péguy, il contribua à la diffusion des Cahiers de la Quinzaine, notamment au sein des établissements d’enseignement [Rond point central].
Le peintre manceau Louis RENOUARD (1835-1899), qui oeuvra beaucoup à la décoration des églises de la Sarthe.
Le sculpteur néoclassique Louis ROGUET (1824-1850), qui fut l’élève de Pradier, d’Abel de Pujol, de Francisque Duret et de Drolling ! Second Prix de Rome en 1848, il obtint le Premier prix l’année suivante. Envoyé à Rome, il mourut prématurément de maladie. Avant de mourir, il avait manifesté le désir d’être inhumé à Orléans. En attendant qu’il puisse être rapatrié, le corps du jeune lauréat fut déposé dans un caveau de l’église Saint Laurent ; une épitaphe fut apposée en l’Église Saint-Louis-des-Français de Rome [section B].
Xavier SAINT-MACARY (1948-1988) : comédien fort courtisé (il fut l’amant de Jean-Pierre Aumont dans La Nuit américaine de François Truffaut qu’il retrouva pour Vivement dimanche, tourna pour Broca, Lecomte, Coggio ou Cavalier...), il fut surtout connu par le grand public pour avoir été Hervé, le mari inquiet de Danièle Évenou dans la série télévisée Marie-Pervenche. Il mourut d’une crise cardiaque alors qu’il n’avait pas 40 ans ! Il repose dans le caveau Bordier [section C].
Le compositeur et sculpteur Jean-Baptiste SALESSES (1817-1873), qui a malheureusement perdu son médaillon en bronze.
L’entrepreneur Jacques SERVIER (1922-2014), docteur en médecine et en pharmacie, qui reprit l’affaire familiale à Orléans qui sous sa direction devint l’une des plus importantes firmes pharmaceutiques françaises, et le premier laboratoire privé et indépendant. En 2011 l’entreprise de Jacques Servier fut condamnée plusieurs fois à verser des dommages et intérêts pour l’Isoméride, nom commercial de la dexfenfluramine, et plusieurs dossiers furent portés en justice concernant le Mediator, nom commercial du benfluorex. Il mourut sans avoir été jugé dans l’affaire du Mediator à la suite de l’extinction des poursuites dues à son décès. Crématisé au crématorium du Mont Valérien de Nanterre (92), ses cendres se trouvent ici.
Roger TOULOUSE (1918-1994) : jeune peintre, il fut remarqué par Max Jacob qui lui fit connaître l’élite artistique du temps, qu’il représenta en peinture où au fusain (Picasso, Cocteau...). Peintre au style expressionniste puissant et coloré, il évolua de plus en plus vers l’abstraction, incluant aussi, à partir de 1949, une nouvelle dimension, mystique et philosophique. Il fut également sculpteur, poète, et illustrateur pour certains de ses amis poètes, tel René-Guy Cadou. Bouleversé par la mort de Max Jacob, c’est lui qui organisa ses obsèques dans le petit cimetière de Saint-Benoît-sur-Loire [Rond point central].
Albert VIGER (1843-1926) : maire de Châteauneuf-sur-Loire, député (1885-1900) puis sénateur (1900-1920) de Gauche du Loiret, il fut ministre de l’Agriculture à trois reprises entre 1893 et 1899.
Eugène VIGNAT (1815-1895), maire d’Orléans et conseiller général du Loiret, qui fut un éphémère député de ce même département entre 1869 et la chute de l’Empire [section B].
Merci à Hélène Richard pour le complément photo. Photo Loiseleur et Boineaud : Jacques Ricour.
[1] Appelé ainsi en raison de la présence de tombes annamites. Les herbes ont désormais envahi les places des tombes, les résidents locaux s’en servant de champs cultivés. Le socle brisé et rouillé qui indique la tombe du Capitaine Hossinger est toujours présent.
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