Biblio : LA FRANCE DES LARMES. DEUILS POLITIQUES À L’ÂGE ROMANTIQUE (1814-1840)
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Article du Monde du 05 février 2009
La mort du duc de Berry, assassiné sur les marches de l’Opéra par l’ouvrier bonapartiste Louvel dans la soirée du 13 février 1820, inspira à Victor Hugo l’une de ses odes les plus célèbres. Dans ces vers, le jeune poète - il avait alors 17 ans - ne se contenta pas de pleurer la « mort sublime » de l’héritier du trône. Il imagina aussi ce que serait sa cérémonie funèbre. A ses yeux, pas de doute : c’est tout un « peuple désolé » qui ne manquerait pas d’accompagner le cercueil de cette « grande âme » à sa dernière demeure : « Bientôt vers Saint-Denis, désertant nos murailles,/Au bruit sourd des clairons, peuple, prêtres, soldats,/Nous suivrons à pas lents le char des funérailles,/Entouré des chars des combats. »
Ces strophes enflammées valurent à leur auteur une gratification de 500 francs sur ordre exprès de Louis XVIII. Mais on connut Hugo meilleur prophète. Car, loin de plonger la France dans une affliction unanime, l’assassinat du duc de Berry réveilla au contraire des élans séditieux. « C’est jour de fête », se réjouit dès le lendemain un habitant de la capitale, qui n’hésita pas à célébrer haut et fort la mort d’un « gros cochon ». Il ne fut pas le seul et, pendant quelques jours, les murs de Paris se couvrirent de placards hostiles aux Bourbons. Ce qui ne manqua pas de provoquer l’ire des ultras. Le 16 février, des gardes du corps du comte d’Artois, le père du défunt et futur Charles X, firent une descente dans un café du Palais-Royal connu pour être un repaire d’opposants : armés de bâtons, ils allèrent jusqu’à molester un député libéral décoré de la Légion d’honneur. Seule l’intervention de la garde nationale mit fin à la bastonnade...
Les passions politiques, on le sait, n’ont pas de territoire réservé. Elles s’expriment partout et en toute occasion : dans les assemblées et les journaux, bien sûr, mais aussi dans les cercles, les clubs, les cabinets de lecture et les cabarets, parfois même lors des carnavals, des banquets, des fêtes populaires ou des voyages officiels (1). Ou encore à l’occasion des enterrements. C’est ce que rappelle Emmanuel Fureix dans ce livre passionnant, issu d’une thèse de doctorat, sur la dimension politique d’un certain nombre de deuils sous la Restauration et la monarchie de Juillet.
« NÉCROPHILIE » ROMANTIQUE
Cet élève d’Alain Corbin n’est pas le premier à s’intéresser à la question. Dans une belle étude sur le cimetière du Père-Lachaise, Danielle Tartakowsky a déjà montré que les tombes - celles, par exemple, de Vallès, de Barbusse et de Thorez - avaient pu à l’occasion faire office de tribunes politiques (2). Mais Fureix est le seul, jusqu’à présent, à avoir mis en évidence l’importance du phénomène dans la France du « premier » XIXe siècle. Une importance qui tient, selon lui, à la conjonction de deux facteurs : d’une part, la fascination des contemporains pour la mort - ses pages sur la « nécrophilie » de l’époque romantique sont particulièrement convaincantes ; d’autre part, la nécessité de trouver un exutoire aux frustrations engendrées par une monarchie censitaire dont l’assise reposait sur l’exclusion d’une partie du corps politique.
Empruntant l’expression au sociologue américain Charles Tilly, l’auteur montre ainsi comment l’opposition - bonapartiste, libérale ou républicaine - a intégré les enterrements à son « répertoire d’actions », au point d’en faire une modalité privilégiée de la geste contestataire de l’époque. Comment ? D’abord en subvertissant les funérailles d’Etat, par exemple à la mort du duc de Berry (1820) ou de Louis XVIII (1824). Ensuite en boudant plus ou moins ostensiblement les « deuils officiels », comme la journée d’hommage à LouisXVI, voulue par LouisXVIII en 1816 puis finalement abandonnée par Louis-Philippe en 1833 dans un souci de réconciliation nationale. Enfin, et surtout, en organisant des « deuils frondeurs » à la mort des héros de la Révolution (La Fayette, Sieyès) et de l’Empire (Davout, Lamarque), ou à celle des « martyrs de la liberté » tombés sur les barricades.
L’un de ces deuils les plus spectaculaires, rappelle l’historien, qui en a étudié une quarantaine, fut celui du général Foy. Le 30 novembre 1825, plus de 100 000 personnes se pressèrent autour du cortège de ce vétéran de l’armée du Rhin, devenu l’un des ténors de l’opposition libérale. L’enterrement prit des allures de meeting quand Benjamin Constant, dans l’éloge funèbre, distingua la « liberté sainte » des « excès qui la souillèrent »...
Rythmées par des slogans frondeurs, émaillées d’objets symboliques (drapeaux tricolores, bonnets phrygiens), les « funérailles d’opposition » inquiétèrent les autorités, qui allèrent jusqu’à y envoyer des mouchards chargés de sonder les tréfonds de l’opinion publique. C’est aussi cette histoire que raconte Fureix, celle de régimes hantés par le souvenir de la Révolution et du régicide, et pour cela prêts à traquer leurs opposants jusqu’au coeur des cimetières.
(1) Rappelons notamment les travaux de Maurice Agulhon (Le Cercle dans la France bourgeoise, A. Colin, 1977), d’Olivier Ihl (La Fête républicaine, Gallimard, 1996) ou de Nicolas Mariot (Bains de foule. Les voyages présidentiels en province, Belin, 2006).
(2) Nous irons chanter sur vos tombes, Aubier, 1999.
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