Genève - cimetière de Plainpalais - Une « catin révolutionnaire » dans le cimetière des grands hommes

Article du Monde - 22/01/2009
vendredi 23 janvier 2009
par  Philippe Landru

Le cimetière des Rois, havre de paix au coeur de Genève, est réservé depuis plusieurs siècles aux grandes familles bourgeoises et à toute « personnalité marquante, ayant contribué par sa vie et son activité au rayonnement » de la ville. Or, le 9 mars prochain, la scandaleuse Grisélidis Réal, morte en mai 2005 à l’âge 76 ans, après une longue carrière de prostituée militante et d’écrivain, y fera une entrée fracassante, comme vient de le décider le Conseil administratif (exécutif) de Genève. Auteur de plusieurs romans - dont Le noir est une couleur (Balland, 1974) -, poèmes, lettres et essais, celle qui considérait la prostitution comme « un Art, un Humanisme et une Science », pourvu qu’elle soit librement consentie, était jusqu’ici inhumée avec le commun des mortels aux alentours de Genève. Elle reposera bientôt aux côtés de Jean Calvin, de Jorge Luis Borges, de l’épistémologue Jean Piaget et de la philosophe Jeanne Hersch, pour ne citer qu’eux. Un souhait que Grisélidis Réal, rongée par un cancer, avait elle-même exprimé, « pour l’honneur des prostituées ».

Après avoir refusé en 2005, la municipalité majoritairement de gauche a fait volte-face sur l’instance d’un des magistrats de la ville, l’écologiste Patrice Mugny, responsable de la culture. « Elle a redonné une dignité aux femmes prostituées, si souvent méprisées. Même si le combat n’est de loin pas encore gagné, la fondatrice d’Aspasie (une association d’aide aux prostituées créée en 1982) mérite bien les Rois », a-t-il expliqué, rappelant que Grisélidis Réal était aussi un écrivain de talent. A l’association Aspasie, qui tient toujours permanence dans le quartier des Pâquis, près de la rue de Berne, où la « catin révolutionnaire » s’est prostituée jusqu’à l’âge de 66 ans, cette audace est saluée. « Du rayonnement, elle n’en manquait pas. Aujourd’hui, les nouvelles générations de féministes ont la même approche pragmatique », constate la sociologue Marie-Jo Glardon, la coordinatrice des lieux, rappelant que si Grisélidis Réal s’était battue contre les aspects sordides de la prostitution, elle avait toujours haï le camp des « abolitionnistes ».

Autant dire que son entrée prochaine au « Panthéon genevois » n’est pas du goût de tout le monde. Une avocate et une ancienne élue socialiste genevoise ont crié leur indignation. Des lettres de lecteurs affluent dans les rédactions. Et ce sont maintenant d’anciennes consoeurs qui s’y mettent.

Croisée dans les locaux d’Aspasie, Marie-Gertrude Vonlanthem, dite Marie-France, prostituée indépendante depuis 1976, s’étouffe presque de colère à l’idée que son ancienne « copine » soit enterrée au cimetière des Rois : « Paix à son âme, mais elle ne le mérite pas ! Point barre ! Elle a violé les règles de la profession ! » Dans le milieu, on ne lui a pas pardonné d’avoir publié en 1979 le petit carnet noir dans lequel elle consignait, par ordre alphabétique, le prénom de ses clients, leurs goûts et les tarifs pratiqués, permettant de reconnaître certains habitués. Dans ce Carnet de bal d’une courtisane, petit chef-d’oeuvre de cruauté et de tendresse réédité en 2005 (Verticales), on lit des annotations comme « CHARLIE - Gros barbu à toute petite barbe rousse, grande voiture jaune foncé, doigt dans le cul - gentil, affaires à Francfort. 80 FRS »... « J’attaque l’homme, je le morcelle, je mets à nu son mécanisme, je polis ses voies secrètes et ses rouages clandestins », écrivait celle qui ne s’est jamais considérée comme la victime de mâles dominateurs.

Née en 1929 à Lausanne dans une famille de professeurs, Grisélidis Réal n’était pas socialement prédestinée à passer près de trente ans sur le trottoir. Après une enfance en Egypte et en Grèce, des études d’art à Zurich, un mariage bourgeois raté et déjà deux enfants, la belle brune s’enfuit en Allemagne avec son amant, un Noir américain échappé d’un hôpital psychiatrique. Plongée dans la misère, elle découvre la prostitution dès 1961 à Munich. Le reste ne sera que sublimation de sa condition et rage de vivre. En 1963, elle fait quelques mois de prison en Allemagne. Une expérience qu’elle a racontée dans un beau livre, Suis-je encore vivante ?, paru après sa mort, en octobre 2008. Puis, une fois libérée, devenue militante, elle atterrit en 1975 à Paris, en pleine « révolution des prostitutions ». Deux ans après, elle sera de retour à Genève, adressant ce petit mot à la police des moeurs : « Messieurs, veuillez avoir l’obligeance de bien vouloir me réinscrire parmi les Courtisanes le 15 mars 1977, et ceci pour toujours. »


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