SAN-FRANCISCO : les cimetières de Colma
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San Francisco, l’une des plus grandes villes des Etats-Unis, ne possèdent que deux cimetières : le cimetière militaire du Presidio, près du Golden Gate, et le petit cimetière de la Mission, dans le quartier hispanique. Cette étonnante absence s’explique par l’interdiction faite, dès la fin du XIXème siècle, d’installer des nécropoles dans une ville en pleine expansion. Ainsi, l’histoire des cimetières de San Francisco ne peut se comprendre que dans le cadre plus large de l’expansion formidable de la côte ouest américaine en pleine ruée vers l’or.
Il fallut donc trouver un nouveau site pour les inhumations : on choisit dans le comté de San Matteo, à l’entrée de l’actuelle Silicon Valley californienne, et à une dizaine de kilomètres de la ville en essor, le site de Colma. Le premier cimetière, le Holy Cross Catholic Cemetery, ouvrit ses portes en 1887. Ainsi naquit Colma, la « cité des âmes » de San Francisco, qui regroupe jusqu’à nos jours toutes les figures de l’histoire de la ville. Il fallut évidemment désaffecter les cimetières de San Francisco et transporter les restes des défunts sur le nouveau site. Des transports spéciaux furent affrétés, un « train des morts » mis en place...
Aujourd’hui, Colma est une ville étrange pour un Européen : ses 2000 résidents cohabitent avec 1,5 millions de corps répartis dans désormais 18 cimetières (17 pour les humains et un pour les animaux). Peu de commerce, de services publics dans la ville : tout est finalement fait pour les morts : il est vrai que les cimetières occupent 73% de la ville. Une association des cimetières de Colma et un musée sont par contre fort dynamiques. Philosophes, les résidents ne s’en plaignent pas : la devise de la ville n’est-elle pas « It’s great to be alive in Colma » (C’est formidable d’être en vie à Colma) !
Conceptions américaines obliges, les gigantesques cimetières qui s’alignent le long de deux voies (Hillside Bd et El Camino Real) sont répartis selon différentes communautés : on y trouve ainsi des cimetières catholiques, protestants, juifs et orthodoxes, mais également des cimetières japonais, serbes, italiens, grecs... qui témoignent de l’immigration massive dans cette partie du monde. Sans oublier le cimetière pour animaux, où nombre de stars californiennes firent inhumer leurs compagnons.
C’est évidemment toute l’histoire de la ville qui se côtoie dans ces cimetières : des magnats de l’or aux pionniers les plus faméliques, des barons de la finance aux gangsters parfois fameux. Beaucoup de gouverneurs, de maires de San Francisco, de joueurs de base-ball bien inconnus en France. Cet article propose de présenter ceux dont le nom ne nous est pas inconnu :
Au Cypress Lawn Memorial Park
le magnat de la presse William Randolph HEARST (1863-1951) : héritier d’un industriel devenu multimillionnaire dans le secteur minier, il édifia lui même un empire médiatique considérable. Il eut le talent d’appeler des « plumes » de qualité à la rédaction de ses quotidiens, ou encore de comprendre le formidable essor de la bande dessinée à laquelle il attribua une place importante. Néanmoins, dans un contexte très concurrentiel, il développa une forme de journalisme belliciste et sensationnaliste. Il se fit remarquer par ses excentricités, telle la construction du spectaculaire Hearst Castle, un château qu’il meubla d’antiquités et d’œuvres d’art achetées en Europe et dans lequel il organisa des soirées inoubliables avec son épouse, l’actrice Marion Davies. Anticommuniste viscéral, il ne cacha pas son admiration pour Hitler et le fascisme. Tout le monde sait qu’il servit de modèle à Welles pour Citizen Kane, bien que Hearst ai tout fait pour empêcher le film de voir le jour. Il repose dans un très mégalomane temple à l’antique.
Au Hills of Eternity Memorial Park
le célèbre marshall Wyatt EARP (1848-1929) : véritable figure de l’ouest américain, chasseur de bisons puis officier de police véreux, agent immobilier qui tenta de faire fortune en Californie, il fut l’un des archétypes du cowboy rapide à la gâchette. Sa vie donna lieu à de nombreux films, dont La poursuite infernale, Règlement de compte à OK Corral ou Wyatt Earp en 1994, avec Kevin Costner. Il fut également l’inspirateur de plusieurs bandes dessinées (Lucky Luke, Blueberry...).
Au Home of Peace cemetery
Oscar LEVI STRAUSS (Löb Strauss : 1829-1902) : juif bavarois immigré aux Etats-Unis, il fonda à San Francisco l’entreprise textile à laquelle il donna son nom. Remarquant que les vêtements portés par les prospecteurs d’or ne supportent pas la torture infligée par le travail de creusement dans les galeries, dans la saleté et la crasse, il commercialisa une toile durable provenant de Nîmes, en France (Denim), colorée en « bleu de Gênes » (Jean) : ainsi naquit le Blue Jean, qui allait être promis à un brillant avenir. Encore aujourd’hui, les Levi’s rappellent par leur nom cet extraordinaire aventure.
Au Holy Cross Catholic Cemetery
Le joueur de baseball italo américain Joe DI MAGGIO (1914- 1999) , qui accumula les victoires dans sa discipline et qui connut une popularité énorme aux Etats-Unis. Il est également connu pour avoir épousé Marilyn Monroe après sa retraite en 1951, mais le mariage a duré moins d’un an. Sur sa tombe... des balles et des battes de baseball bien sûr !
Au woodlawn cemetery
l’empereur NORTON Ier (Joshua Norton : 1811-1880) : extraordinaire personnage, « Folk figure » comme disent les Américains, que ce San franciscain qui fit faillite et décida de s’autoproclamer en 1859 « Empereur des États-Unis et Protecteur du Mexique ». Ce qui est surtout étonnant n’est pas tant qu’il ait créé ses propres billets de banque et qu’il ait passé ses journées dans les rues de la ville pour « inspecter son empire », mais plutôt que cette auto proclamation l’ait rendu populaire : il s’invitait aux meilleures tables de la ville où on acceptait sa « monnaie » (sa présence pittoresque donnait paradoxalement du prestige aux établissements). Son « règne » de 21 ans vit se succéder les décrets « impériaux » dans lesquels il ordonnait la dissolution du Congrès américain... ce qui n’inquiéta pas plus que cela les autorités de Washington ! Il entretint une correspondance avec la reine Victoria, et émis également des décrets qui postérieurement nous apparaissent visionnaires, comme celui de créer une Société des Nations ou encore de faire établir un pont entre San Francisco et Oakland. Il mourut dans l’indigence : le jour suivant, le San Francisco Chronicle publia sa nécrologie en première page sous l’en-tête « Le Roi est Mort » (en français). La notabilité de San Francisco lui paya un cercueil en bois de rose : ses funérailles furent grandioses, près de 30 000 personnes ayant suivi le corbillard jusqu’au Masonic cemetery. En 1934, les restes de Norton furent transférés, encore à l’extérieur de San Francisco, dans un lieu modeste au Woodlawn Cemetery, à Colma. Encore aujourd’hui, les Californiens honorent celui qui fut l’unique empereur des Etats-Unis. Il inspira à Mark Twain le personnage du roi dans les Aventures de Huckleberry Finn. Il fut également la source d’inspiration de Morris pour l’album de Lucky Luke l’Empereur Smith.
Les stars d’Hollywood, elles, préfèrent Los Angeles... Colma est bien la cité des morts de San Francisco.
Ni cimetière américain (longues pelouses et plaques), ni cimetière européen, Colma est un mélange des deux traditions. On y vient pique-niquer en famille, commémorer les héros de la ville, ou de sa communauté... Une conception de la mort finalement peu morbide.
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