Les combats du bois des Caures

samedi 28 décembre 2024
par  Philippe Landru

Le bois des Caures se trouve sur le territoire de la commune de Moirey-Flabas-Crépion (ancienne commune de Flabas), dans le département de la Meuse, au nord de Verdun.

En février 1916, le bois est traversé par la ligne de front. Cette partie du front mal protégée est défendue par les bataillons de chasseurs du lieutenant-colonel Driant. Le 21 février 1916, au premier jour de la bataille de Verdun, le bois est détruit par une des plus impressionnantes préparations d’artillerie, les survivants des deux bataillons ont tenu tête pendant presque deux jours aux troupes allemandes en surnombre avant d’être détruits ou capturés. Cette résistance a permis de limiter la progression allemande et d’acheminer des renforts pour colmater le front.

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Difficile d’imaginer, devant l’aspect paisible et désert du lieu, la violence des combats de 1916.

Le bois des Caures était la position la plus au nord du front de Verdun sur la rive droite de la Meuse entre les communes de Flabas, Haumont et Beaumont, la zone de repos était à Samogneux. Depuis la stabilisation du front, fin 1914, cette zone était considérée comme secondaire. Malgré les mises en garde du lieutenant-colonel Driant aucun effort de renforcement ne fut ordonné par le GQG. À partir du mois de janvier 1916, devant les avancées des préparatifs allemands en vue d’une offensive, Driant renforça les défenses dans le bois des Caures de son propre chef. Alternativement les 56e et 59e bataillons de chasseurs à pied occupèrent les premières lignes. Le 21 février 1916, face à eux se trouvait la XXIe division allemande, formée de trois régiments soit neuf bataillons. Cette division était soutenue par 40 batteries d’artillerie lourde, sept batteries de campagne et 50 Minenwerfer (mortier de tranchée) soit 230 pièces.

Le 21 février, le bois des Caures est défendu en première ligne par le 59e bataillon de chasseurs à pied et le 56e bataillon de chasseurs à pied en seconde ligne, soit environ 1 200 hommes, sous le commandement du lieutenant-colonel Émile Driant. À partir de 7 h 30, le bois et toute la ligne de front sont soumis à un bombardement particulièrement intense, jusqu’à 16 h. On estime qu’environ 80 000 obus sont déversés sur le bois — soit un secteur de 1 300 mètres sur 800 mètres — pendant cette journée.

On ne saura jamais avec certitude combien de défenseurs ont survécu à cet ouragan d’acier, mais lorsque le bombardement cesse, à 4 h de l’après-midi, une poignée de fantassins émerge de ses abris et s’apprête à combattre. Ils ont les yeux rougis, les explosions les ont rendus sourds, beaucoup sont blessés ; la plupart de leurs mitrailleuses sont hors d’usage, certains n’ont plus que des grenades et leur baïonnette. Alors que les canons continuent à pilonner la zone située derrière le bois, les colonnes d’assaut allemandes, lance-flammes en tête, entreprennent leur progression parmi les souches lacérées du bois des Caures. Ce sont des éléments de la 42e brigade de la XXIe division, emmenés par cinq détachements de pionniers et des équipes de lance-flammes. Le jour baisse et il commence à neiger. Pas plus d’un quart des chasseurs ont survécu au bombardement, mais ils s’accrochent au terrain et contre-attaquent même pendant la nuit pour reprendre un poste perdu. Le sergent Léger et cinq chasseurs tirent jusqu’à ce qu’ils n’aient plus de munitions ; Léger parvient encore à épuiser son stock de 40 grenades à main avant d’être blessé et de perdre conscience. Non loin de là, le sergent Legrand et six chasseurs n’ont plus que deux fusils en état de tirer, mais ils se battent jusqu’à la mort. Il n’y eut qu’un seul survivant, le caporal Hutin, blessé, qui est capturé. Le 22 février, les Allemands bombardent à nouveau la position, puis attaquent en force, emportant l’un après l’autre les postes et les abris. Driant brûle ses documents et évacue son poste de commandement. Il est tué peu après.

Au cours de ces combats les chasseurs des deux bataillons perdent 90 % de leurs effectifs, leur résistance a cependant retardé de façon décisive la progression allemande. Elle a également permis aux renforts français d’arriver à temps pour éviter la percée vers Verdun. Ces combats marquent le début de la bataille de Verdun qui durera jusqu’en octobre 1916.

Emile DRIANT (1855-1916)

Engagé dans l’armée, il servit en Tunisie où il devint officier d’ordonnance du général Georges Boulanger dont il épousa l’une des filles (il ne prit cependant jamais part aux activités politiques du courant boulangiste). Très tôt, il se lança également dans la littérature sous le nom de « capitaine Danrit », anagramme de son nom pour échapper à la censure de ses chefs, dans ce genre nouveau du roman d’anticipation dont Jules Verne avait ouvert la voie et qui s’alimentait des progrès que connaissait l’époque (électricité, moteur à explosion, débuts de l’aviation…). Il y aborda les thèmes militaires les plus divers en écrivant près de trente romans en vingt-cinq ans, et le succès fut au rendez-vous. Dans cette œuvre romanesque, Driant exalta sans cesse le service de la France, l’exemple de l’officier, la mission à accomplir.

Fondateur de deux ligues (dont la ligue antimaçonnique), il se lança une fois à la retraite en politique ; défenseur intransigeant de l’armée et ennemi de toute concession faite à l’Allemagne. Elu député de Meurthe-et-Moselle en 1910, ami de Paul Déroulède et de Maurice Barrès, il devint rapidement un des principaux intervenants contre la gauche dans les débats parlementaires portant sur l’armée et la défense. Député à l’entrée de la guerre, son mandat et son âge l’écartaient de toute obligation militaire, mais il demanda pourtant à reprendre du service contre l’Allemagne. Durant cette période, il continua de se rendre régulièrement à la Chambre des députés. Il fut ainsi rapporteur du projet de loi portant la création d’une décoration pour reconnaître la « valeur militaire », la future Croix de guerre.

Il obtint le commandement des 56e et 59e bataillons de chasseurs à pied qu’il continua de diriger, après avoir été promu en mai au rang de lieutenant-colonel, jusqu’en automne 1915, quand il prit en charge le secteur du bois des Caures.

Sa mort a un retentissement d’autant plus important que pour beaucoup, elle est celle du « capitaine Danrit », dont les ouvrages ont été la lecture de la jeunesse française avant la Grande Guerre. Après la guerre, le lieutenant-colonel Driant est élevé au rang de gloire nationale au même titre que les maréchaux Joffre, Gallieni, Pétain et Foch. En octobre 1922, le corps de Driant est exhumé de la tombe initiale faite par les Allemands. Un mausolée, décidé par d’anciens combattants dont Castelnau, y est érigé.

Les lieux mémoriels


Aujourd’hui, un circuit pédestre de plein-air balisé permet de découvrir le site du bois des Caures. Des panneaux informatifs jalonnent le parcours de 800 m. On peut ainsi découvrir le PC, la tombe du lieutenant-colonel Driant et le monument commémoratif des 56e et 59e bataillons de chasseurs à pied.

Le PC

A quelques mètres, on trouve encore les ruines du poste de secours pour les premiers soins aux blessés.

La stèle sur le lieu de décès
A 16 heures, il ne reste plus qu’environ 80 hommes autour du lt-colonel Driant. Tout à coup, des obus viennent de l’arrière : le Bois des Caures est donc tourné ! Dans le but de combattre encore ailleurs et de ne pas être fait inutilement prisonniers, Driant ordonne aux derniers Chasseurs encore debout de se retirer en arrière du bois. Trois groupes s’organisent. Le groupe du colonel comprend la liaison et les télégraphistes. Chacun s’efforce de sauter de trou d’obus en trou d’obus, cependant qu’une pièce allemande de 77 tire sans arrêt. Le colonel marche calmement, le dernier, sa canne à la main. Il vient de faire un pansement provisoire à un chasseur blessé, dans un trou d’obus et il continue seul sa progression, lorsque plusieurs balles l’atteignent : « Oh là ! Mon Dieu ! » s’écrie-t-il, puis fait un quart de tour sur lui-même et s’abat face à l’ennemi.

La tombe provisoire
Après sa mort, il est inhumé par les Allemands sur le champ de bataille. La baronne Schrotter, vivant à Wiesbaden, adressa le 16 mars 1916 une lettre de condoléances à Madame Driant "Mon fils, lieutenant d’artillerie qui a combattu vis-à-vis de Monsieur votre mari, me dit de vous écrire et de vous assurer que Monsieur Driant a été enterré avec tous respects et tous soins, et que ses camarades ennemis lui ont creusé et orné un beau tombeau [...] On va soigner le tombeau de sorte que le retrouverez aux jours de paix".

Il est exhumé le 9 août 1919, identifié, puis réinhumé au même endroit. Une seconde exhumation eut lieu le 9 octobre 1922 en prévision dans le translation dans le monument commémoratif. Le cercueil est déposé provisoirement dans la chapelle de Ville-devant-Chaumont.

Le monument

En 1922, Le Souvenir français décide d’immortaliser, sur le champ de bataille, le sacrifice des 56e et 59e bataillons de chasseurs à pied et de leur chef. A la fourche de la route de Flabas et de Ville-devant-Chaumont, à 20 km au Nord de Verdun, le sculpteur Grégoire Calvet [1] dressa un imposant monolithe taillé dans le calcaire meusien. De sa face brute émerge une croix latine auréolée. Elle domine sur le roc une perspective de croix mortuaires figurant la nécropole minérale des combattants qui se sont sacrifiés. La première croix est ceinte d’un corps de chasse, symbole des chasseurs à pied. L’ensemble surplombe un banc rocheux, à peine équarri, qui porte en lettres irrégulières « Au Colonel Driant et à ses chasseurs ». Autour, les tombes de treize soldats restés anonymes.

Le monument fut inauguré le 21 octobre 1922 en présence de nombreuses figures officielles : André Maginot, les généraux Castelnau et Mangin, l’évêque de Strasbourg, Maurice Barrès, le député Désiré Ferry et le futur député Victor Schleiter. La veille, les restes d’Emile Driant ont été inhumés sur place en présence de sa veuve.

Beaumont-en-Verdunnois


A quelques mètres de ces sites mémoriels se trouvait le village de Beaumont, situé à 15kms au Nord-Est de Verdun, et qui comptait 186 habitants dans le recensement de 1911. Se situant dans la zone des combats en 1914, sa population fut évacuée dans le sud de la Meuse, à Paris, et dans des lieux divers du sud de la France. Le 24 février 1916, les survivants des 56e et 59e bataillons se réfugièrent dans ses ruines : cachés dans ce qui restait des caves des habitations, ils firent encore de nombreuses victimes parmi les troupes allemandes. Le lendemain cependant, Beaumont fut perdu par les troupes françaises. Elle fut reprise le 8 octobre 1918, disparaissant totalement sous l’acharnement des pilonnages des obus français et allemands.

Cette commune ne possède aucun habitant. C’est l’un des neuf villages français détruits durant la Première Guerre mondiale et non reconstruits dans ce secteur déclaré « village mort pour la France » à la fin des hostilités. Il fut décidé de conserver cette commune en mémoire des événements qui s’y déroulèrent. La commune est aujourd’hui administrée par un conseil de trois personnes désignées par le préfet de la Meuse.Des rectangles de terre dessinent l’emplacement des maisons anéanties. On aperçoit l’entrée des caves écroulées.

Une petite chapelle Saint-Maurice dressée au cœur de la commune, à côté du monument aux morts a été construite en 1933 par l’architecte George Perceval. Au sommet, vestige de l’avant-guerre, subsiste le cimetière communal avec ses tombes antérieures à la guerre.


Sources :
- Wikipedia
- Le Souvenir français


[1Il reste connu enfin pour avoir lancé en 1921 l’idée d’une illumination de la tombe du Soldat inconnu, qui aboutit à la création de la Flamme sous l’Arc de Triomphe deux ans plus tard.


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