HELOÏSE ET ABELARD (XIIe siècle)

Père-Lachaise - 7ème division
samedi 10 octobre 2009
par  Philippe Landru

Lui, moine et brillant professeur de philosophie dans un collège appelé à devenir la future Université de Paris, adversaire de l’impitoyable Bernard de clairvaux. Elle, très jeune, nièce d’un chanoine de Paris qui loge Abélard. De leur violente et réciproque passion naquit un fils, Astrolabe. Le « délit » découvert, Abélard prit la fuite mais fut rattrapé par les émissaires du chanoine qui le castrent. Le moine erre alors de monastère en monastère, puis meurt en 1142. Héloïse, devenue moniale au Paraclet, près de Nogent, lui survit jusqu’en 1164.

A partir de là, commence l’aventure étonnante de leurs sépultures successives :

1. Pendant quelques mois, en 1142, les restes d’Abélard sont au prieuré bénédictin de Saint-Marcel, près de Châlon-sur-Saône.

Abélard fut enterré dans la chapelle de Notre-Dame, qui était adossée à l’église actuelle. Il avait souhaité, dans sa première lettre à Héloïse, que son corps, après sa mort, soit ramené au Paraclet.

Aujourd’hui, son souvenir est rappelé par une plaque en latin scellée sur le mur de l’église, dont la signification est : « Ici fut déposé en premier lieu le corps de Pierre Abélard, homme franc et moine de Cluny, qui mourut en 1142. Maintenant, c’est auprès des moniales du Paraclet, dans le territoire de Troyes, qu’il repose. Homme d’une piété remarquable, le plus illustre par ses écrits, d’un esprit aigu par la force de son raisonnement, par l’art de son discours, en toute science il n’était le second de personne ».

2. De décembre 1142 à 1792, ses restes sont transférés en l’abbaye du Paraclet, sur la commune de Quicey. Héloïse meurt à son tour et le rejoint.

Ce souhait, Héloïse n’a pas manqué de le rappeler à Pierre le Vénérable. Mais les moines de Châlon, de leur côté, ne l’entendent pas ainsi, ils tiennent à garder les restes d’un homme aussi illustre. L’abbé de Cluny est donc obligé, nous dit la chronique de G. Godel, d’agir la nuit par ruse et le 16è jour des calendes de décembre, il fait enlever « furtivement » le corps du défunt pour le conduire au monastère du Paraclet. Il y accompagne le cortège et prêche au chapitre des religieuses. Abélard va reposer désormais devant le maître-autel du « Petit Moustier », chapelle consacrée à Saint-Denis, à quelque distance de l’église principale du monastère.

Héloïse meurt au Paraclet le 16 mai 1164 comme leprécise l’obituaire du monastère. Elle aurait été enterrée, selon la chronique de Tours, dans le même cercueil que Pierre Abélard et la chronique fait état du miracle d’Abélard ouvrant les bras à Héloïse. Belle légende ! Héloïse a été enterrée, elle aussi, au Petit Moustier, dans un cercueil différent, au-dessus d’Abélard.

Le 2 mai 1497, l’abbesse du Paraclet décide de transférer les ossements du fondateur et de la première abbesse de l’oratoire du Petit Moustier au chœur de la grande église dédiée à la Trinité. Les archives de l’Aube possèdent le texte du procès-verbal de cette première exhumation. La raison de ce transfert était l’humidité du lieu qui nuisait à la conservation de ces précieux restes. Le cercueil d’Héloïse fut exhumé le premier et inhumé à gauche du grand autel et celui d’Abélard à droite.

Le 15 mars 1621, la nouvelle abbesse décide de regrouper les sépultures. Ce fut un simple changement de place sans ouverture des cercueils ni vérification des ossements.

…a été fait la translation des corps de maistre Pierre Abaillard et d’Héloïse lesquels ont été enlevés l’un du côté dextre, l’autre du côté senestre de la grande grille de l’église pour être transportés sous le grand autel en un charnier.

Ce charnier est très probablement le caveau qui existe toujours, voûté en berceau, grossièrement maçonné, long de 6,33 m, large de 2,40 m et haut de 1,50 m. C’est là une partie de la crypte de la grande église du Paraclet.

Le 03 juin 1701, l’abbesse fait d’abord construire dans le chœur des religieuses une sorte de cénotaphe à la mémoire des deux fondateurs au sommet duquel elle place la fameuse statue de la Trinité « du Dieu triple en un ». Sur ce monument elle fixe ensuite une plaque de marbre noir qui retrace la vie des deux personnages et annonce qu’ils sont réunis en ce tombeau. Cette annonce est prématurée : Les cercueils restent dans le « charnier », c’est-à-dire le caveau.

Le 03 mars 1768, la grande prieure fait procéder à une vérification des restes dans le caveau. Les maîtres chirurgiens, Jean Maget et Nicolas Boudard, ouvrent les deux tombes qui sont l’une à côté de l’autre dans le caveau et attestent avoir trouvé pour Abélard :

Différentes pièces osseuses tant du crâne que de la face, de la poitrine, du bassin de la colonne épinière que des extrémités tant supérieures qu’inférieures. Constatation similaire pour Héloïse : Le crâne entier, les os de la poitrine divisés en différentes parties, ceux du bassin aussi séparés, ainsi que les extrémités tant supérieures qu’inférieures.

Le 06 juin 1780, les ossements sont réunis dans le tombeau vide du chœur des religieuses. L’abbesse fait faire un cercueil en plomb à deux compartiments.

Le 09 novembre 1792, l’abbaye dans la tourmente révolutionnaire doit fermer ses portes.

Le Paraclet : sur les traces d’Héloïse et d’Abélard

(article du 12 novembre 2008 dans l’Aisne Nouvelle)

Située dans le Nogentais, l’abbaye du Paraclet a été le théâtre de bien des événements au cours des siècles. A commencer par une grande histoire d’amour.

Impossible de la manquer. Lorsqu’on se rend à Nogent, par la route de Marigny-le-Châtel, juste après Quincey, le Paraclet, sur la droite, intrigue forcément par sa beauté. Fermé le reste de l’année, ce lieu chargé d’histoire se visite l’été. Et si la plupart des bâtiments (granges, logis abbatial du XVIIè siècle occupé par les propriétaires, cellier restauré) ne sont pas ouverts au public, le visiteur trouvera largement de quoi se consoler en écoutant l’histoire de ces neuf siècles contée par la maîtresse des lieux. Se rendre au Paraclet, c’est mettre ses pas dans ceux d’Héloïse et d’Abélard. Aujourd’hui plus connu pour son histoire d’amour avec Héloïse que pour ses écrits polémiques, Abélard, professeur de dialectique et esprit brillant trouve refuge auprès des comtes de Champagne, après avoir été chassé d’Ile-de-France. C’est près de la source de l’Ardusson qu’il fonde le Paraclet, autrement dit, le Saint-Esprit consolateur. Au départ, ce ne sont que quelques cabanes en roseaux, censées héberger le maître qui, plus tard, a été rejoint par ses élèves. C’est Héloïse qui va être à l’origine de la création « en dur » de l’abbaye. Apprenant que le couvent d’Argenteuil chasse sa femme, Abélard lui propose de s’installer au Paraclet, où elle fonde une communauté religieuse, attestée en 1130. Héloïse y restera jusqu’à sa mort en 1164, à l’âge de 63 ans.

Unis dans la mort

Des bâtiments du XIIè siècle, il ne reste rien. Mais du passage du couple maudit, des souvenirs demeurent, comme cette pierre tombale, située dans le caveau, pour figurer l’endroit où furent enterrés les amants, ou l’obélisque. Mort vingt-deux ans avant Héloïse, Abélard – ou plutôt sa dépouille – fut ramenée par sa femme au Paraclet. Lorsque celle-ci meurt à sont tour, elle fut naturellement enterrée à côté de son amant. L’histoire dit que leurs mains se seraient alors jointes. Pendant la guerre de cent ans, puis au cours du XVIIè siècle, l’abbaye est détruite, puis reconstruite. Après avoir changé de place à plusieurs reprises au sein de l’abbaye, les cendres des époux sont transférées dans l’église de Nogent, au XVIIIè siècle. Déplacé pouor figurer dans la colection du musée des Monuments Français, le tombeau se trouve, depuis 1817, toujours au cimetière du Père Lachaise.

L’après Révolution

La Révolution n’épargne pas l’abbaye, les religieuses en sont chassées en 1792. Un an plus tard, un incendie détruit une partie des bâtiments. Le logis est amputé d’une partie de son aile. Les pierres sont vendues aux Nogentais pour construire leur maison. L’église quant à elle est détruite. Après le directeur de la Comédie Française, puis Pajol, général sous Napoléon, l’ancêtre de l’actuel propriétaire acquiert une partie des bâtiments, puis la totalité en 1835. Il fait construire des canaux pour assécher les marécages, dériver une partie de la rivière pour abreuver ses bêtes. Il agrandit et fait restaurer le cellier aux moines, un bâtiment qui donne aujourd’hui sur des jardins. En lieu et place de l’ancienne église, à côté de l’obélisque, l’arrière-grand-père a fait construire une chapelle. Le caveau, situé en dessous se visite. Il donne une idée de la dimension de l’église, qui devait mesurer 18 mètres sur 5.

Un lieu chargé d’histoire

Certes, le visiteur qui se figure pénétrer dans les bâtiments du XVIIè siècle restera sur sa faim. Mais l’histoire de cet amour qui a traversé les siècles a marqué de sa grâce un lieu empreint de mystère et de beauté. Se rendre au Paraclet, c’est s’imprégner de l’histoire d’un lieu… En faisant un peu fonctionner son imagination.

L’obélisque de Pujol

Connu pour avoir effectué une charge d’anthologie à Montreau, Pierre-Claude Pajot, dit Pajol, fut une grande figure de la cavalerie légère de Napoléon. Ce fut aussi l’un des propriétaires des lieux, qu’il revendit au sous-préfet de Nogent, ancêtre des propriétaires, en 1825 pour la partie ferme, puis en 1835 pour le reste de la propriété.

A l’emplacement du chœur de l’église, à l’endroit même où auraient été enterrés Héloïse et Abélard, il fait ériger un obélisque, inscrit à l’inventaire depuis 1925.

3. De 1792 à 1800, leurs restes sont transférés dans la chapelle Saint-Léger de l’église de Nogent-sur-Seine

Les restes d’Héloïse et d’Abélard posaient un problème aux autorités civiles de Nogent-sur-Seine chargées d’abord de vendre le mobilier, puis de vendre l’abbaye elle-même. L’Assemblée Nationale prescrivait en effet de conserver les dépouilles des hommes célèbres qui appartenaient à la Nation. Héloïse et Abélard en étaient évidemment. Les autorités du district décidèrent donc d’exhumer les précieux restes. Elles se rendirent au Paraclet et trouvèrent le cercueil de plomb là où Marie-Charlotte de Roucy l’avait fait mettre douze ans plus tôt. Elles le firent transporter d’abord « au lieu des séances » du Directoire de Nogent, le 18 octobre 1792, en attendant de trouver un endroit plus décent. Le 7 novembre on procéda à un transfert dans l’église Saint Laurent de Nogent-sur-Seine et le 9 novembre une cérémonie fut organisée pour une nouvelle inhumation solennelle et officielle dans la chapelle Saint Léger de cette même église. Pour finir, une plaque de cuivre fut gravée pour relater cet événement et scellée sur le tombeau.

4. De 1800 à 1817, leurs restes sont transférés dans un mausolée au Musée des Monuments Français

Pour récupérer le plomb des cercueils, on faillit alors jeter leurs ossements : Alexandre Lenoir, grand protecteur du mobilier funéraire – on lui doit la sauvegarde des tombeaux de Saint-Denis – décide de s’emparer du dossier. Le 13 février 1800, il écrit à Lucien Bonaparte et obtient l’autorisation de transporter à Paris ce qui reste du mausolée d’Héloïse en provenance du Paraclet et le cénotaphe d’Abélard en provenance de Saint-Marcel. L’exhumation officielle a lieu le 23 avril 1800. C’est à la sous-préfecture où a été conduit le cercueil que se font les constatations officielles qui font l’objet d’un procès-verbal :

Il a été reconnu que cette caisse a été divisée en deux parties par une lame de plomb et que l’une des parties contenait les restes d’Abélard consistant en divers ossements parmi lesquels on distinguait particulièrement des portions de fémur, de tibia, plusieurs côtes, et, entr’ autres, une grande partie du crâne et la mâchoire inférieure ; que l’autre partie renfermait également les restes d’Héloïse parmi lesquels on remarquait particulièrement une tête presque dans son entier, la mâchoire inférieure en deux parties, des ossements de cuisses, de jambes et de bras conservés dans leur entier, tous lesquels ossements ainsi qu les épitaphes ont été remis au citoyen Alex. Lenoir susnommé qui s’en est chargé pour effectuer le transport au Musée des Monuments Français.

Il faudra à Alexandre Lenoir toutes les ressources de son imagination romantique pour bâtir dans son jardin le monument à partir d’éléments aussi disparates. Le sarcophage vient heureusement de Saint-Marcel avec le gisant masculin. Lenoir n’a pas d’Héloïse : il prendra dans sa réserve une statue de femme et fera ajouter une tête par le sculpteur Beauvallet. Il récupère de l’abbaye de Saint-Denis : « Les colonnes qui portent des ogives percées à jour en forme de trèfle ». La flèche du clocher vient des Grands-Carmes de Metz. Il y aura aussi un bas-relief de l’abbaye de Royaumont et des éléments décoratifs de la chapelle de la Vierge à Saint-Germain des Prés… La foule des visiteurs va se presser autour de cette chapelle sépulcrale et le 27 avril 1807 – le mausolée est terminé – l’impératrice Joséphine y fera à la nuit tombée une promenade romantique aux flambeaux. Le succès était total.

Le 18 décembre 1816, l’expropriation du musée de Lenoir est ordonné : les restes et le monument se préparent pour un ultime transfert.

5. 16 juin 1817 : transfert au Père-Lachaise

Dès que le démontage du monument d’Abélard et d’Héloïse est assez avancé, on procède une nouvelle fois à l’exhumation des restes en présence de Lenoir. Après rédaction d’un procès-verbal, on charge les deux cercueils dans un corbillard et le cortège passe à l’église Saint-Germain-des-Prés où un service funèbre très solennel avec grand’messe est célébré. Le cortège gagne ensuite le cimetière de l’Est – qui portera plus tard le nom de Père-Lachaise – et les cercueils sont déposés provisoirement dans une salle et confiés aux gardiens, jusqu’à ce que le monument qu’on construit pour recevoir les restes des dépouilles mortelles de ces deux personnages illustres soit achevé et en état de les contenir.

L’inauguration officielle a lieu le 06 novembre 1817. De la même manière que pour Molière ou La Fontaine, l’objectif « publicitaire » était évident. Il atteint son but : dans le contexte romantique, le cimetière commença à attirer. On dit également que parmi les tombes qu’il fallut faire disparaître pour construire le mausolée se trouvait celle de l’ingénieur Joseph GUILLOTIN (1738 – 1814), qui donna bien malgré lui son nom à la guillotine.


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j’ai largement utilisé l’excellent article (ainsi que certaines illustrations) provenant du site de l’Association Culturelle Pierre Abélard. Outre un topo précis sur les différentes sépultures, on y trouve des réponses concernant le devenir d’Astrolabe, le fils d’Héloïse et Abélard. (http://www.pierre-abelard.com/sepultures.htm)


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