...d’hier et d’aujourd’hui

samedi 15 décembre 2012
par  Philippe Landru

Cette petite promenade amusera je pense les amateurs du Père Lachaise, et elle intéressera sans doute les meilleurs connaisseurs du lieu. A partir des cartes postales anciennes (certaines vues datent de la fin du XIXe siècle), j’ai tenté, le plus précisément possible, de retrouver l’endroit exact de la prise de vue. Sur le mode désormais connu du « avant/après », il est passionnant de voir à quel point, même sur les tombes de célébrités que l’on croit connaître parfaitement, certains détails ont parfois changé.

Cet article a vocation a être complété au fur et à mesure des trouvailles.


Bon, les immeubles ont été ravalés, mais la sortie de métro Père Lachaise n’a finalement pas tellement changé. Sur les deux dernières, j’aime beaucoup la coïncidence des deux femmes qui s’avancent, reflétant chacune la société française de leur époque.

Dès cette comparaison, on se rend compte de quelque chose qui apparaît sur la plupart des cartes : les arbres étaient beaucoup plus nombreux auparavant ! Parions que des tombes ont pris leur place.

Autre petit détail, invisible en été : le parfait alignement de l’allée, du monument aux morts, mais également, en hauteur, de la chapelle du cimetière (de mémoire, on aurait pu penser que l’alignement aurait été à cheval sur la chapelle et la tombe de Thiers !).

Parce que la végétation dense coupe les horizons dès le printemps, il est mieux de faire des photos d’hiver du cimetière. Ce qui est vrai aujourd’hui l’était déjà hier, et la plupart des cartes postales anciennes ont bien été prises durant les mois de repos du lieu.

En parlant de repos, la rue du même nom (et que tous les retardataires connaissent le soir lors de la fermeture) a bien changé. La comparaison donne l’impression que la porte était plus près anciennement. La plupart des immeubles ont été remplacés : sur la gauche, au fond, se dessine dans les deux cas le bâtiment de la conservation.

Un portail qui n’a pas changé. La maison du gardien a en revanche été refaite.

Il est drôle de constater, en comparant les deux époques, que l’implantation des arbres a évolué le long de l’allée principale menant au monument aux morts.

Nous voici revenu pour l’exhumation des restes de Rossini avant son transfert pour Florence. Les chroniques de l’époque décrivent une cérémonie pénible, tant l’odeur exhalée par le corps du musicien était méphitique (on voit d’ailleurs les officiels tenant leurs mouchoirs sur leur nez).
Le même endroit, 125 ans plus tard : rien n’a vraiment changé. Les tombes sont les mêmes (on reconnaît celle de Louis Poinsot, celle de Musset est cachée par la végétation...). En 2012, des arbres en plus mais surtout une perspective sur le monument aux Morts (qui n’existait pas encore en 1887).

Le monument aux morts justement : lui n’a pas changé, mais on remarque que le parvis a été agrandi, et que les escaliers latéraux ne sont plus les mêmes.

La vue de la 4ème division prise du monument est beaucoup plus étonnante. Stricto censu, elle n’est plus possible car l’angle de vue de la carte donne maintenant sur la pente feuillue : ainsi, on ne pourrait plus prendre de photo de la tombe du peintre Paul Baudry de cette sorte désormais. On remarque l’existence de l’ancien parterre central. La tombe à gauche est en revanche bien la même...

Ici, encore une gravure. Ce qui est intéressant, c’est à la fois la reproduction fidèle des monuments (que l’on peut tous retrouver de nos jours), mais également la disproportion de leur taille (c’est particulièrement visible pour la tombe de Musset). A noter que la chapelle Haussmann n’existe pas encore (à moins qu’elle ne soit en construction). La gravure reproduit le transfert de Rossini (1887) et Haussmann meurt en 1891... La chapelle fut-elle construite auparavant pour un autre membre de la famille ? Le cimetière mène à de vraies enquêtes policières !

Quelques tombes de cette 4ème division :

Peu de changement sur la tombe Arago, ainsi que celles environnantes (la petite stèle, à droite, n’existe plus mais les chapelles de la gauche sont bien là). Seul vrai changement : les lourdes couronnes officielles ont fait place à un bouquet bien discret ! Autre curiosité : l’arbre à l’arrière (cela semble être le même) a bien prospéré...

La vue sur la tombe de Paul Baudry a beaucoup perdu avec la végétalisation du site, mais soyons honnête : qui pour pleurer aujourd’hui sur le sort de ce pauvre Baudry !

A quelques mètres de lui, Le Bas semble immuable...

Tout comme les généraux Lecomte et Clément-Thomas (une petite stèle à l’arrière en moins)...

... Béclard...

... Falguière... Indéniablement, la division d’honneur n’est pas celle qui a été la plus bouleversée.

Nous voici désormais à mi pente.

Géricault... Des arbres en moins, et la disparition de l’urne sur la chapelle à l’arrière.

En revanche : « feu » le bas-relief d’Herold ! Sur la droite, l’ancienne urne sur sa colonne a été remplacé par un petit ange. Là comme ailleurs, on remarque que ce qui a massivement disparu des cimetières est l’entourage métallique, qui y figurait quasi systématiquement anciennement. Raison de plus pour conserver ceux qui sont miraculeusement toujours là.

Un aucuba envahissant ne nous permet plus d’admirer le bas-relief de Boieldieu...

En contrebas, la tombe de Serre ne semble pas bien plus usée qu’il y a un siècle. En revanche, il est intéressant de voir qu’entre temps, la stèle de gauche a prit du galon : si elle a perdu son entourage métallique, elle y a gagné une partie haute néogothique, le tout récemment rénové !

Entre les deux dates, le caveau Lesurques s’est dangereusement incliné !

... Chopin... Peu de changements (hormis la pleureuse qui, a force d’être nettoyée, perd ses traits). L’environnement est en revanche intéressant : une chapelle qui n’existait pas, un obélisque qui a perdu de sa superbe, et, sur la gauche, une croix qui existe encore mais qui a perdu sa branche verticale ! En terme de fleurs, l’aujourd’hui l’emporte sur l’hier.

Celle-ci, plus d’un amateur un peu éclairé est persuadé qu’elle n’existe plus. Dans la mythologie du cimetière, et c’est ainsi qu’elle apparaît dans les guides anciens, sa détentrice, Marie-Madeleine Milcent née Fournier, morte en 1824, aurait « porté dans son sein un enfant de douze mois vivants et sept ans mort (!!), ce qui aurait été constaté par les médecins Du Bois et Bélivier qui retirèrent l’enfant bien conformé et parfaitement conservé » [1]

Cette tombe n’est plus qu’une ruine, mais est facile à localiser, en bordure de division. En outre, la comparaison de l’aspect actuel avec la carte ancienne ne laisse aucune ambiguïté sur son identification, ce qui n’est pas toujours le cas.

Les photos d’Eugène Atget ne sont pas toujours faciles à localiser, et quand on y parvient, il y a toujours quelque chose d’émouvant... Ici, l’intersection face à la tombe Desaugiers. L’obélisque à gauche a disparu, tout comme l’étonnante cahute du gardien sur la droite ! Pour le reste, la physionomie générale reste la même.

Il suffit de se retourner pour avoir la vue suivante (elle donne sur la citerne, dissimulée sur la droite). Là encore, les lieux sont reconnaissables, malgré la mauvaise qualité du cliché.

Molière et La Fontaine : pas de gros changements, même pour les tombes environnantes (on voit clairement sur les deux prises la porte de la chapelle du fond). Un mystère cependant : sur la carte postale ancienne (même en plus haute définition) n’apparaît pas le gigantesque obélisque de la famille Gémond (la seconde plus haute tombe du cimetière après Beaujour). Cet obélisque datant de 1819, on voit mal comment il a pu disparaître ! Trucage pour mettre en valeur les deux compères ? Effet d’optique ?

Étonnante conservation de la tombe Bruat et des tombes avoisinantes : celle de derrière se paye même le luxe de posséder encore certaines de ses parois en verre !

L’allée des Chèvres a été quelque peu aménagée depuis le début du siècle : toute la partie droite a été depuis lotie ! L’ondulation du chemin, et le repère constitué par la tombe Demidoff nous permettent néanmoins de restituer l’ensemble.

Gobert... Les tombes sont toujours là, les arbres moins.

Massena... La tombe de Lefèbvre (invisible, sur la droite) a perdu son entourage métallique. Mais où donc Napoléon voulait-il donc être enterré, « entre Lefebvre et Massena », dans un espace aussi réduit ?

Une des cartes postales du cimetière... La comparaison est intéressante : la voie a été retracée, au détriment d’une tombe de bordure près de Murat (les autres sont toujours là). A l’origine (et cela apparaît sur la carte), un petit chemin partait à l’arrière de la tombe de Lefebvre, sans doute pour monter vers Wallace (il n’existe plus désormais). Là encore, étrangeté : même en grossissant la carte initiale, on ne voit pas apparaître le tombeau de Cambacérès, pourtant imposant !

Scribe...
On notera la belle profusion de couronnes « old style » sur la carte postale ancienne.

Gouvion-Saint-Cyr... Entre temps, son nez s’est dramatiquement érodé... Il est désormais le « sphinx » du Père Lachaise !

Rond-point Casimir Périer : si la tombe Raspail n’a pas bougé, il n’en est pas de même du reste : Gall (sur la gauche) avait encore son buste (plus qu’un moignon aujourd’hui !). Les deux mausolées du 1er plan ont bien perdu de leur superbe : l’occasion, grâce à la photo suivante, de dénoncer l’attribution à Fourier d’un buste qui ne lui appartient pas !

Le buste Chaussier...Il était une fois un médecin fort sérieux, membre de l’Académie royale de médecine et de l’Académie des sciences : François Chaussier. Lorsqu’il mourut en 1828, on l’enterra à une place d’honneur, près du rond-point, et on dota sa tombe d’un buste en pierre. C’est cette tombe que l’on voit à droite de Raspail, et par la même occasion le buste. Las ! Le temps fit ses ravages : la tombe s’affaissa, perdit ses colonnes. Tel un pâté assez indigeste, on posa le fronton sur le socle où il semble depuis se fossiliser mutuellement. Abandonné, le buste fut déposé par un petit plaisantin... sur la tombe proche d’un académicien français qui n’en demandait pas tant, Joseph Fourier. Comble de l’ingratitude : ce buste, patiné par le temps, devint fort photogénique dans sa nouvelle alcôve. Moultement photographié depuis, il est une injure pour Chaussier. Pas certain que la promiscuité des deux membres de l’Institut se passe dans la quiétude séante en ce genre d’endroit... Sic transit...


Retour à la chapelle du cimetière. Curieux constat : il a existé naguère un monument aux morts, face à la chapelle et la tombe de Thiers, sur le parterre fleuri actuel. Il avait été inauguré par le président de la République lui-même.

Partons désormais explorer la partie gauche du cimetière :

Romain de Sèze : là encore, peu de changements. La stèle de droite a perdu sa croix. Celle de gauche semble avoir disparu : il n’en est rien mais elle s’est effondré dans le taillis qui la dissimule désormais. Là encore, à saison égale, on voit clairement la disparition des arbres.

La défense de Belfort... Peu de changements, mais on notera la disparition de l’auvent métallique si caractéristique qui ornait souvent les tombes du XIXe siècle.

Bizet... Cherchez l’erreur !

Croce et Spinelli...

Monument aux victimes du Devoir... Les tombes des badauds d’hier visitées par les touristes d’aujourd’hui. Et le cimetière immuable.

Celle-ci est intéressante car elle n’est pas une photo, mais une gravure représentant les derniers combats des Communards. On remarque bien des détails qui permettent de voir que l’artiste avait prit connaissance du lieu : de part et d’autre, la tombe de Nodier (désormais en partie cachée par une chapelle) et le buste de Balzac. On repère bien entre les deux le profil sculpté de la tombe Sarazin. En revanche, il a un peu « triché » avec la tombe Souvestre (dont on reconnaît au premier plan la forme qui n’a rien de classique) : il l’a faite plus petite, pour ne pas occulter les combats du second plan.

Nous voici désormais dans la partie la plus contemporaine du cimetière. Paradoxe dont seul un cimetière peut avoir le secret : c’est finalement celle qui a le plus été modifiée en un siècle !

La mosquée, les buissons... Tout a disparu (un arbre s’est même imposé depuis au centre). Seul repère entre les deux photos : le tombeau noir massif de droite, qui nous permet de situer avec précision l’emplacement de la mosquée.

En vue latérale, le changement est encore plus criant. Il faut désormais de l’imagination pour « voir » le tombeau de la reine d’Oude et la mosquée !

Hormis l’adaptation du parterre aux voitures, c’est le jeu des sept erreurs !

Le columbarium : plus de modifications qu’il n’y paraît. Le prolongement de l’édifice n’a pas encore été fait sur la carte postale ancienne (à l’origine, le columbarium n’avait que deux ailes en équerre. Les escaliers de pierres ont remplacé les vieux escaliers amovibles (!). Aviez-vous remarqué qu’à l’origine, il n’y avait pas « deux » étages de onze rangées de cavurnes (5 en bas, 6 en haut) mais une seule paroi de neuf rangées, surmontées par des arcs en berceau (toujours visibles de nos jours en s’éloignant de la paroi) ? Il y a donc bien eu un moment où il a fallu détruire pas mal de ces rangées pour édifier le balcon. Les plaques les plus anciennes sont vraiment des rescapées qu’il faut conserver !

André Gill, déboulonné de son socle, est désormais condamné à voir les choses à ras du sol ! Là encore, on notera la profonde transformation de son environnement.

Les arbres, toujours présents, peuvent témoigner que les choses se sont bien calmées autour de l’ancienne tombe cambriolée de Madame Lanthelme !
Sortie par l’entrée des Rondeaux, donnant sur Gambetta.

Au fond, les cheminées du crématorium (dissimulées de nos jours par les arbres de l’avenue).

Intéressant de noter que la tête de taxi actuelle donnant sur la place Gambetta était déjà... une tête de fiacre ! Combien de temps la mémoire d’un lieu persiste-t-elle, à l’insu même des hommes, pour conserver une vocation professionnel pareille ? Y a-t-il eu un jour où un premier taxi et un dernier fiacre attendirent de concert le prochain client ?


Source : Les cartes postales anciennes sont tirées du net où elles sont légions. J’ai en particulier récupéré un grand nombre de cartes de l’excellent site de Steve Sopper


[1Source : MOIROUX Jules, Le cimetière du Père Lachaise, 1908, p.251


Commentaires

Logo de Christophe M.
...d’hier et d’aujourd’hui
samedi 15 décembre 2012 à 04h41 - par  Christophe M.

Captivant ! Merci Philippe.

Logo de Fabien
lundi 17 décembre 2012 à 13h25 - par  Fabien

Un excellent travail !!!
Merci à vous de nous le faire partager !!!

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samedi 29 octobre 2022

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vendredi 14 février 2014

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