CHAUCONIN-NEUFMONTIERS (77) : cimetière militaire de Villeroy
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Le cimetière militaire de la Grande Tombe ne ressemble à aucun autre : il ne s’agit pas d’un alignement de tombes, comme ceux que l’on peut trouver dans la Meuse, mais d’un minuscule enclos propret au bord de la route. La petite porte poussée, et on se retrouve devant un ossuaire contenant les restes de 133 soldats tombés à cet endroit lors d’une contre-offensive de septembre 1914, c’est-à-dire au tout début de la guerre. Parmi eux repose leur lieutenant, Charles PÉGUY (1873-1914), le créateur des Cahiers de la Quinzaine, le poète qui chanta Jeanne d’Arc et la Meuse...
- Acte de naissance de Charles Peguy - Orléans.
Je n’aime pas Péguy : je ne me retrouve pas plus dans son catholicisme exalté et mystique que dans son nationalisme tout aussi passionné. Il appartient pour moi à une autre époque, à d’autres valeurs.
Néanmoins, sa tombe interpelle indéniablement : au bord de la route, cernée par les champs de blé de la fertile Seine-et-Marne où se déroulèrent naguère ces combats sanglants, et où le silence règne désormais - sinon le bruit du vent dans les épis - le site est enchanteur, irréel presque... Peguy aurait sans aucun doute apprécié cette sépulture.
Un peu plus loin, un monument et un calvaire indiquent l’endroit précis où Peguy tomba. Une petite table d’orientation permet de cerner les positions allemandes, celles des troupes françaises... L’endroit est emphatique, mais il n’est pas sans grandeur.
Un témoin de la mort de Peguy décrivit la scène dans une lettre à Maurice Barrès, que celui-ci publia :
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« Ah ! cette fois, c’est fini de rire. Escaladant le talus et rasant le sol, courbés en deux, pour offrir moins de prise aux balles, nous courons à l’assaut. La terrible moisson continue, effrayante ; la chanson de mort bourdonne autour de nous. 200 mètres sont ainsi faits ; mais aller plus loin pour l’instant, c’est une folie, un massacre général, nous n’arriverons pas 10 ! Le capitaine Guérin et l’autre lieutenant, M. de la Gornillière, sont tués raides. « Couchez-vous- hurle Péguy- et feu à volonté ! » mais lui-même reste debout, la lorgnette à la main, dirigeant notre tir, héroïque dans l’enfer.
- Fiche de décès du ministère de la Défense.
« Nous tirons comme des enragés, noirs de poudre, le fusil nous brûlant les doigts. A chaque instant, ce sont des cris, des plaintes, des râles significatifs ; des amis chers sont tués à mes côtés. Combien sont morts ? On ne compte plus. Péguy est toujours debout, malgré nos cris de : « Couchez-vous ! », glorieux ; fou dans sa bravoure. La plupart d’entre nous n’ont plus de sac, perdu lors de la retraite, et le sac, à ce moment, est un précieux abri. Et la voix du lieutenant crie toujours : « Tirez ! Tirez ! Nom de Dieu ! » D’aucuns se plaignent : « Nous n’avons pas de sac, mon lieutenant ; nous allons tous y passer ! - Ça ne fait rien ! crie Péguy dans la tempête qui siffle. Moi non plus, je n’en ai pas, voyez, tirez toujours ! » Et quand, 100 mètres plus loin, je jette derrière moi un rapide coup d’œil alarmé, bondissant comme un forcené, j’aperçois là- bas comme une tache noire au milieu de tant d’autres, étendu sans vie, sur la terre chaude et poussiéreuse, le corps de ce brave, de notre cher lieutenant. »
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